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  • il y a 2 ans
Cinquante ans après la mort d'Omar Blondin Diop, le 11 mai 1973, sur l’île de Gorée, la thèse officielle du suicide est remise en question. Enquête.

Jeune philosophe, premier Sénégalais à être admis à Normale-Sup, cofondateur aux côtés de Daniel Cohn-Bendit du mouvement du 22-mars, à l’initiative des événements de mai 1968 et militant formé à la lutte armée, Omar Blondin Diop a marqué les années soixante au Sénégal. Les conditions de sa mort, en détention, le 11 mai 1973, n’ont jamais été clarifiées. Le gouvernement affirme qu'il s'est « suicidé par pendaison » et le quotidien Le Soleil publie le 15 mai 1973 une autopsie confirmant cette version.

Que s’est-il passé dans cette prison, le 11 mai 1973 ? Et comment Omar Blondin Diop est-il mort ? Des documents, des témoignages et une modélisation 3D inédite soulignent les failles de la thèse officielle. Une enquête du Monde Afrique.

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Transcription
00:00 Gorée, en face de Dakar, la capitale sénégalaise.
00:07 Sur cette île, le pouvoir sénégalais a longtemps emprisonné ses opposants.
00:15 Parmi eux, Omar Blondin-Diop.
00:20 Étudiant surdoué, premier Sénégalais à intégrer l'école normale supérieure
00:25 en France.
00:26 Omar Blondin-Diop est ensuite devenu l'un des plus célèbres militants africains de
00:31 gauche dans le Paris des années 60.
00:33 Le 11 mai 1973, il est retrouvé mort dans sa cellule.
00:39 Il a alors 26 ans.
00:41 Officiellement, il s'est pendu.
00:44 Parmi ses proches, beaucoup parlent plutôt d'un crime d'État.
00:49 À l'exception des gens du pouvoir, je ne connais pas beaucoup qui ait accepté cette
00:57 thèse du suicide.
00:58 Que s'est-il passé dans cette prison le 11 mai 1973 ? Et comment Omar Blondin-Diop
01:05 est-il mort ? Des documents, des témoignages et une modélisation 3D inédite soulignent
01:12 les failles de la thèse officielle.
01:13 Je suis sorti de cette visite avec la conviction que la pandémie a été une simulation.
01:21 50 ans après la disparition d'Omar Blondin-Diop, la vérité est-elle encore possible ?
01:28 L'image la plus nette d'Omar Blondin-Diop, la voici.
01:38 Un jeune intellectuel, en col de chemise, le regard calme et déterminé.
01:43 Derrière la caméra, Jean-Luc Godard.
01:47 Omar Blondin-Diop joue pour lui son propre rôle, celui d'un étudiant, marxiste, anticolonialiste.
01:54 À Paris, Blondin-Diop s'engage à fond dans le militantisme, jusqu'à une année historique.
02:02 Avec Daniel Kohn-Bendit, il fonde le mouvement du 22 mars, l'un des déclencheurs de mai
02:08 68.
02:09 Je crois que c'est la première fois que nous voyons cela.
02:10 C'est-à-dire que de fait, ici, nous occupons la Sorbonne.
02:16 Sa participation lui vaut d'être expulsé au Sénégal.
02:20 À Dakar, le révolutionnaire n'est pas vraiment le bienvenu.
02:23 Le régime qui était en place à l'époque et qui était un régime inféodé à la France
02:33 toute honte bue, ne pouvait pas trouver grâce à ses yeux.
02:37 Alioun Sal, alias Paloma, fut l'un des compagnons de lutte d'Omar Blondin-Diop.
02:43 Il se souvient du moment de bascule vers la lutte armée.
02:47 En 1971, un groupe de militants tente de lancer des cocktails molotov sur le cortège du président
02:54 français Georges Pompidou, à Dakar.
02:56 Ils sont arrêtés et condamnés à de lourdes peines.
03:00 C'est ce qui décide Paloma et Omar Blondin-Diop à se former aux armes.
03:05 Ils partent en Syrie, en Algérie et au Mali.
03:08 C'est là, à Bamako, qu'Omar Blondin-Diop est arrêté.
03:12 Extradé à Dakar et rapidement jugé pour tentative de complot contre l'autorité de
03:18 l'État.
03:19 En 1972, il est condamné à trois ans de prison.
03:23 Nous sommes ici devant l'ancien palais de justice qui a servi de tribunal spécial pour
03:32 condamner Omar Blondin-Diop en mars 1972.
03:34 Omar Blondin-Diop, lui, n'a pas eu d'avocat, il n'a pas eu d'enquête, il n'a pas eu
03:38 d'instruction.
03:39 Il avait couru d'avance qu'il allait être condamné.
03:42 14 mois plus tard, le 11 mai 1973, Omar Blondin-Diop est déclaré mort dans sa cellule.
03:49 A Lyoncel, fut un temps son codétenu à Gorée.
03:53 Il n'a jamais cru au suicide.
03:55 Les conditions étaient difficiles, c'est pas ça qui aurait pu le conduire au suicide.
03:59 Cinq jours après le décès, le journal Le Soleil publie un rapport d'autopsie dans
04:04 le sens de la thèse officielle.
04:06 Blondin-Diop est mort par pendaison, sans trace de violence.
04:11 Et pourtant.
04:12 Ce serait la vraie cellule dans laquelle Omar était.
04:28 Donc le lit était dans le fond de la cellule.
04:30 Il y avait un parapet ici derrière lequel il y avait les latrines.
04:33 Grâce aux témoignages d'anciens détenus, ainsi qu'à des photos parues en 1997, nous
04:40 avons tenté de reproduire la scène supposée du suicide.
04:43 La salle voûtée fait plus de 3 mètres de haut.
04:46 13 mètres de long.
04:49 Le lit, unique mobilier de la pièce, est face à la fenêtre.
04:54 Les toilettes sont à l'entrée et des petites cloisons divisent la pièce.
05:01 Selon le premier rapport médical connu, le corps d'Omar a été retrouvé suspendu
05:08 à un tuyau au-dessus de la porte d'entrée.
05:11 Son corps, contre une cloison, les pieds, à 45 centimètres du sol.
05:16 Omar Blondin-Diop mesurait 1,73 mètre.
05:21 Premier élément troublant sur les photos, le visage du jeune homme.
05:26 Les suicides par pendaison laissent souvent des traces.
05:30 Généralement, on a des époulements d'assalies, et plus rarement du sang.
05:34 On peut avoir les oreilles ou le nez qui coulent.
05:38 Là, on ne constate rien.
05:39 On voit que dans cette région latérale gauche, il n'y a pas de sillons, il n'y a pas d'enfoncement
05:46 cutané.
05:47 On a généralement un caractère parcheminé, la peau est asséchée, elle prend bien l'empreinte.
05:53 Là, on n'a aucune marque.
05:55 On a ce qu'on appelle une protrusion de la langue, c'est-à-dire que la langue va sortir,
06:02 va être coincée entre les arcades dentaires.
06:05 C'est pratiquement 9 fois sur 10.
06:07 Aucune de ces traces physiques n'étaient visibles sur le cadavre d'Omar.
06:12 Pourquoi ? La reconstitution des lieux pose une autre question, encore plus essentielle.
06:19 Omar Blondin-Diop pouvait-il se suicider dans sa cellule ?
06:23 Les pieds ne touchent pas le sol.
06:25 On se demande finalement sur quels instruments le corps a pu prendre appui.
06:29 Il nous manque quelque chose qui sert d'appui.
06:31 Et on voit qu'il faut s'élever sur un promontoire pour pouvoir accrocher le drap en haut du
06:39 tuyau.
06:40 Même les bras levés, quand on prend les mesures avec les règles, on voit bien qu'on n'atteint
06:43 pas le tuyau.
06:44 Ces incohérences avaient été constatées dès 1973 par le juge Mustapha Touré.
06:55 Il l'a raconté peu avant sa mort au réalisateur J.D.
07:00 Djigo.
07:01 On a essayé de faire la reconstitution avec un détenu important et deux jours.
07:10 Il a été très difficile pour ce détenu-là de se hisser et de se prendre.
07:18 Affaibli par sa détention, Omar Blondin-Diop aurait non seulement réussi à se hisser,
07:24 il l'aurait fait dans le noir complet, la lumière des cellules étant coupée à 21
07:29 heures.
07:30 Pour quelqu'un qui se serait pendu la nuit, c'était pratiquement impossible.
07:38 Donc je suis sorti de cette visite avec la conviction certaine alors qu'Omar ne s'est
07:48 pas pendu volontairement et que la prendaison a été une simulation.
07:52 Alors, que s'est-il vraiment passé ? Les témoignages de co-détenus éclairent en
08:01 partie les derniers jours d'Omar Blondin-Diop.
08:04 Des témoignages et un document, le registre de la main courante de Gouré, qui consigne
08:10 l'avis de la prison.
08:11 Selon ce registre, le 21 avril, Omar Blondin-Diop se tient enfermé dans un cachot de 2 mètres
08:18 sur 1 mètre et demi, réservé aux détenus récalcitrants.
08:21 Le registre dit que le jeune homme est blessé, suite à des coups violents.
08:27 L'infirmier demande qu'Omar Blondin-Diop soit remis dans sa cellule.
08:31 Il ajoute que le détenu a perdu connaissance, suivi de la mention « urgent ».
08:37 J'ai entendu l'infirmier qui a confirmé effectivement les blessures.
08:42 Les blessures étaient si graves qu'il a été obligé de demander au registre de le
08:47 sortir de cellule et de le réintégrer dans sa chambre.
08:52 Un témoignage, capital, confirme cette version, celui d'un autre détenu, Mohamed, l'un
08:59 des frères d'Omar Blondin-Diop.
09:01 Mohamed affirme que ce 21 avril, il a entendu des bruits de lutte entre son frère et ses
09:08 gardiens dans la cour de la prison.
09:10 Il ajoute qu'une fois ramené dans une cellule toute proche, son frère lui a confié avoir
09:16 reçu un violent coup de matraque à la nuque et qu'un autre gardien lui cognait la tête
09:21 contre le mur.
09:22 Deux jours plus tard, le registre indique qu'Omar est conscient mais qu'il refuse
09:28 de se nourrir car trop malade.
09:30 Les deux frères pouvaient communiquer.
09:34 Pendant un ou deux jours, ils se parlaient mais après Omar a perdu la voix donc il
09:44 ne parlait plus.
09:45 Il gémissait jusqu'au jour de sa mort.
09:50 Le jour de l'annonce du décès, le père d'Omar, Ibrahima Blondin-Diop, est l'un
09:55 des premiers à accéder au corps.
09:57 Médecin de profession, il réalise lui-même une autopsie.
10:01 Verdict ? Mon fils Omar Blondin-Diop est mort des suites de plusieurs traumatismes violents
10:09 ayant entraîné une forte commotion cérébrale.
10:11 A aucun moment, mon père n'a cru aller au suicide d'Omar.
10:18 En justice, l'affaire prend un tournant politique.
10:22 Alors que le juge Moustapha Touré est sur le point d'inculper deux gardiens, il est
10:27 brusquement désaisi de l'affaire.
10:30 Deux ans plus tard, son successeur reconnaît un lien possible entre les sévices des gardiens
10:36 de la paix et le malaise ou la perte de connaissance du détenu, mais déclare l'incompétence
10:42 de sa juridiction et met fin aux poursuites.
10:45 Alors que savait le pouvoir sénégalais ? L'entourage du président, Léopold Sédar
10:52 Senghor, a-t-il voulu cacher une vérité trop embarrassante ?
10:56 En septembre 2023, sur RFI, Jean-Pierre Biondi, ancien conseiller du président, brise une
11:03 omerta d'un demi-siècle.
11:05 Moi, la version que j'ai toujours entendue, qui était donc une version plutôt senghorienne,
11:11 c'est que c'était ses gardiens qui l'avaient assommé.
11:13 Il y aurait eu une rixe entre ces gardiens et lui, au cours de laquelle ces gardiens
11:18 étant à plusieurs l'ont assommé et tué.
11:21 C'est la version qui circulait dans le milieu où j'étais, c'est-à-dire à la présidence,
11:29 parmi les conseillers, parmi les gens qui gravitaient autour du pouvoir.
11:33 Donc, Omar Blondin-Diop qui se serait pendu dans sa cellule, c'est un mensonge d'État.
11:38 C'est un mensonge d'État, oui.
11:43 Ces dix dernières années, la famille d'Omar Blondin-Diop a demandé à deux reprises la
11:49 réouverture du dossier judiciaire, considérant le témoignage du juge Touré comme un nouvel
11:54 élément.
11:55 Mais la demande est restée pour le moment l'être morte.
11:58 [Musique]
12:02 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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