Enseignant tué à Arras : "C'est dur de trouver les mots face aux élèves", témoigne ce professeur perpignanais

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Trois jours après l'assassinat de Dominique Bernard, professeur de français dans un lycée d'Arras, un hommage est organisé dans tous les collèges et les lycées de France ce lundi. À Perpignan comme ailleurs, les enseignants vont devoir revenir sur les faits avec les élèves.

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00:00 En attendant il est 7h45 et après l'horreur, le temps de l'hommage.
00:04 En début d'après-midi tous les collèges et lycées de France vont respecter une minute de silence
00:08 à la mémoire du professeur Dominique Bernard, cet enseignant tué vendredi
00:13 assassiné dans ce lycée à Arras dans le Pas-de-Calais.
00:16 Les enseignants eux se rassemblent dès ce matin à 8h pour un temps d'échange
00:20 avant d'accueillir les élèves à partir de 10h.
00:22 Et Suzanne Chaudjaille, notre invitée justement, il est professeur dans un lycée de Perpignan.
00:26 - Bonjour Marc Anglaret. - Bonjour.
00:28 - Vous êtes prof de philo au lycée Aragau à Perpignan.
00:31 Donc exceptionnellement ce matin, les cours commencent à 10h dans tous les collèges et les lycées de France.
00:37 Les deux premières heures sont consacrées à vous, les enseignants, pour que vous ayez le temps de vous retrouver, d'échanger.
00:43 Je suppose que vous aussi, vous allez retrouver vos collègues tout à l'heure après cette interview.
00:47 Pourquoi c'est important de se retrouver entre collègues avant d'accueillir les élèves ?
00:52 Qu'est-ce que vous allez vous dire ?
00:53 - On va évidemment partager notre émotion, ça c'est la première chose.
00:57 On va déjà essayer de faire le point sur l'urgence et qu'est-ce qu'on va dire à nos élèves à 10h.
01:04 Et là, il faut dire la vérité, on est tous très démunis, on n'est pas formés à ce genre de choses.
01:09 Donc on va se réunir entre collègues, avec la direction, l'administration,
01:13 qui va sûrement nous proposer des pistes, je ne sais pas ce qu'ils vont nous dire, j'aimerais pas être à leur place.
01:17 Mais on a besoin évidemment, on ne pouvait pas prendre les élèves à 8h, c'est évidemment impossible.
01:21 - Vous parlez d'émotion, vous, personnellement, vous vous sentez comment trois jours après ce drame ?
01:25 - Je pense comme à peu près tous mes collègues en France, on est horrifiés, on est bouleversés.
01:29 On a un sentiment d'absurdité, on ne fait pas ce métier pour risquer sa vie, évidemment.
01:36 Donc on ne sait pas quoi penser, on est juste horrifiés.
01:40 - Et ça fait trois ans aujourd'hui, jour pour jour, que Samuel Paty, un enseignant d'histoire-géo,
01:45 a été assassiné dans les Yvelines, tué lui parce qu'il avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet.
01:52 Encore une fois, là c'est la figure de l'enseignant qui est attaquée, pourquoi, à votre avis,
01:56 qu'est-ce que vous représentez aux yeux de ces assaillants ?
01:59 - Alors, c'est difficile et c'est je crois un exercice périlleux de se mettre dans la tête d'un tueur,
02:05 d'un terroriste, d'un islamiste.
02:07 Il semble bien en effet que c'était, alors d'après les témoignages, il cherchait à tuer un prof d'histoire,
02:13 il n'en a pas trouvé, il a tué un prof de lettres.
02:15 Donc voilà, ça dit aussi clairement peut-être la confusion de son idéologie,
02:20 donc il faut toujours être très prudent je crois là-dessus.
02:23 Bon, le mobile islamiste ne semble pas faire de doute,
02:25 donc oui, une école, qu'est-ce que c'est ? C'est un lieu où on transmet du savoir,
02:28 on transmet des connaissances, on transmet aussi l'esprit critique,
02:32 on transmet l'esprit de dialogue, évidemment, donc toutes choses qui font horreur aux islamistes, aux fanatiques.
02:37 - Une certaine liberté aussi ?
02:38 - Une certaine liberté, espérons-le, liberté de penser, liberté de dialoguer,
02:43 la cohabitation entre des personnes qui ne pensent pas les mêmes choses, qui ne croient pas les mêmes choses,
02:47 et oui, c'est sans doute ça que détestent les islamistes.
02:50 - Je suppose que tout ça vous l'aviez abordé en classe à l'époque,
02:52 après l'assassinat de Samuel Paty il y a trois ans,
02:55 notamment la notion de laïcité, notion essentielle à l'école.
02:59 Là encore, après la mort de Dominique Bernard,
03:02 il faudra une nouvelle fois choisir les bons mots face aux élèves ce matin.
03:06 Comment vous allez une nouvelle fois en parler ?
03:09 - Honnêtement, je ne sais pas, je ne sais pas.
03:11 Je ferai avec ma sensibilité, avec mon expérience, comme tous mes collègues.
03:16 Laïcité, bien sûr, sont importantes.
03:20 Moi, dans ma matière, la philo, on parle de religion, c'est au programme,
03:23 on parle de politique, c'est au programme.
03:25 - Justement, qu'est-ce qu'il faut dire à ce sujet aux jeunes ?
03:28 - Que la laïcité, c'est ce qui globalement permet à une société
03:32 dans laquelle des gens ne croient pas les mêmes choses de vivre ensemble.
03:35 Mais ces mots sont bien faibles, face à un tueur, face à un assassinat,
03:41 ces mots, on s'en semble dérisoire.
03:43 - Et en tant qu'enseignant, je suppose qu'il faut se préparer aussi à d'éventuelles questions,
03:48 non pas dérangeantes, mais peut-être surprenantes ou peut-être provocatrices ?
03:52 - Peut-être, oui, en effet. J'espère que ça ne m'arrivera pas.
03:55 Je ne sais pas si mes élèves m'écoutent, mais j'espère qu'ils auront du respect.
03:58 J'espère que tous les élèves qui assisteront à ces courses,
04:02 dans cette journée très spéciale, auront la décence de ne pas provoquer.
04:06 Mais en effet, il faut aussi s'y attendre dans certains cas.
04:09 - Il est 7h49, Suzanne Chaudjahi sur France Bleu Roussillon,
04:15 notre invité Marc Anglaret, professeur de philosophie au lycée Arago de Perpignan.
04:19 - Trois jours après l'assassinat de Dominique Bernard
04:22 et trois ans après celui de Samuel Paty,
04:24 est-ce que Marc Anglaret, vous avez peur en allant au travail ?
04:28 Est-ce que vous vous sentez en danger ?
04:29 - Non, sincèrement non.
04:32 Le métier est déjà assez difficile comme ça, pour d'autres raisons
04:34 qu'il n'y a pas lieu d'exposer ici.
04:38 C'est un métier qui est difficile, si en plus on doit aller au travail
04:40 avec la peur au ventre, la peur d'être attaqué ou assassiné,
04:44 ça deviendrait absolument insupportable.
04:46 Heureusement, ce genre d'événement reste absolument rarissime.
04:50 Donc moi, sincèrement, je n'ai pas peur.
04:53 Je comprendrais, la peur ça ne se décide pas,
04:55 je comprendrais ceux qui auraient au moins une angoisse,
04:58 parce que vraiment la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras
05:02 n'était pas un établissement difficile.
05:04 Ça veut dire que vraiment ça peut arriver n'importe où, n'importe quand.
05:07 Pour autant, ça reste rarissime, donc je crois qu'il faut vraiment
05:09 essayer de ne pas céder à la peur,
05:11 et ne pas tomber non plus dans le jeu de la récupération politique
05:14 absolument abjecte.
05:16 Je me permets de le dire, les partis de la haine
05:18 n'ont pas attendu une heure pour récupérer cette affaire.
05:21 - C'est qui les partis de la haine ?
05:22 - Les partis de la haine, vous les connaissez, c'est l'extrême droite, c'est l'ERN,
05:25 c'est tous ces partis-là qui à moindre se frottent les mains,
05:31 sûrement évidemment dans leurs coins,
05:33 parce que ce genre de drame, c'est leur fond de commerce,
05:37 mais c'est absolument ignoble,
05:38 c'est un manque de respect pour les victimes et pour leurs proches.
05:42 Quand on voit qu'il faut quelques heures maintenant, quelques minutes parfois,
05:46 pour que les discours de haine fleurissent suite à ce genre de drame,
05:51 moi je suis vraiment révolté.
05:53 - Est-ce qu'en cours, parfois, il vous arrive de vous censurer,
05:56 même inconsciemment, par crainte d'éventuel représail ?
06:00 Vous ou vos collègues d'ailleurs ?
06:01 - Moi je ne crois pas, alors si c'est inconscient, par néficiation, on ne le sait pas.
06:04 Je n'ai pas vraiment ce sentiment-là,
06:07 sûrement des collègues, il ne faut pas le nier,
06:11 c'est des choses qui arrivent,
06:12 je ne suis pas sûr que ce soit toujours justifié,
06:15 peut-être qu'on surestime aussi parfois, suite à un climat général,
06:19 on surestime les réactions que pourraient avoir les élèves ou leurs parents,
06:23 parfois c'est les parents, plus que les élèves d'ailleurs,
06:25 qui viennent nous expliquer comment faire notre métier.
06:29 Moi je n'ai vraiment pas le sentiment de me censurer,
06:32 je vous le dis, la religion c'est un sujet que j'aborde dans toutes mes classes,
06:34 parce que c'est au programme, c'est d'ailleurs un sujet que je trouve très intéressant,
06:37 indépendamment de toutes ces questions-là,
06:39 la politique c'est un sujet qu'on doit aborder,
06:41 je n'ai pas le sentiment de me censurer,
06:43 mais j'ai peut-être la chance aussi d'être dans un lycée avec des élèves
06:46 où je n'ai pas besoin de me censurer.
06:48 - Le pays est passé en alerte urgence attentat vendredi soir,
06:52 ça veut dire que c'est le niveau le plus élevé du plan Vigipérate
06:54 et que la sécurité des établissements scolaires est renforcée,
06:58 est-ce que c'était la priorité pour vous avant de revenir en classe ce matin ?
07:01 - Je n'en suis pas sûr, ces mesures de sécurité,
07:04 tout ce qui est alerte attentat, etc.,
07:07 on voit bien que ça ne sert pas à grand-chose,
07:09 les alertes attentat, il y en a d'exercices anti-intrusion, etc.,
07:13 il y en a tous les ans, on voit bien que ça n'empêche pas ces drames.
07:16 Je voudrais aussi profiter de le dire,
07:18 et avec beaucoup de sérénité,
07:20 ce dont on manque ce n'est pas des portiques de sécurité
07:23 ou des détecteurs de métaux à l'entrée des établissements,
07:25 ce dont on manque c'est des personnels,
07:26 on manque de surveillants, on manque de personnels médicaux sociaux,
07:30 on manque de psychologues dans les établissements,
07:33 on manque de médecins scolaires, d'infirmières dans les établissements,
07:35 c'est aussi tous ces gens-là qui peuvent, sur le long terme,
07:38 désamorcer, prévenir ce genre de drame.
07:41 - Et à 14h, une minute de silence sera respectée
07:44 dans tous les collèges et les lycées du département,
07:47 mais aussi de la France entière.
07:48 Merci beaucoup Marc Anglaret d'avoir témoigné ce matin sur France Bleu Roussillon,
07:51 vous êtes professeur de philosophie au lycée Arago de Perpignan.
07:55 - Merci. - A bientôt.

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