Sa dernière création au théâtre, L’amour telle une cathédrale ensevelie, vient d’être récompensée du Prix de la critique 2 023 de la meilleure création en langue française, au moment où en librairie L’homme qui n’arrête pas d’arrêter poursuit sa vie de roman, le deuxième de la vaste bibliographie de Guy Régis Jr, écrivain, dramaturge, metteur en scène et directeur du festival Quatre chemins à Port-au-Prince, sa ville natale. Dans la causerie qu’il nous a accordée, l’auteur raconte sa relation à son père, qui lui a inspiré Les cinq fois où j’ai vu mon père (Gallimard), et confie ne pas avoir été sur place lors du séisme qui a coûté si cher à son île d’Haïti, et qui continue de traverser sa population : d’où ce roman déambulatoire, dont le personnage principal, Eddie, demeure hanté par la catastrophe. Depuis qu’il a survécu, Eddy s’est perdu, en lui-même surtout, ne retrouvant plus sa place dans une société où son parcours avait pourtant bien commencé, comme fonctionnaire au service des passeports et visas, pour la joie de sa mère. Celle-ci le raccroche à lui-même dès que possible, quand cesse par instants cette errance nocturne où Eddy s’abrutit d’alcool, se promet de ne pas recommencer, et se remet en route, puis s’arrête. Et repart. Bute sur les phrases, s’envoie des points d’interrogation par kyrielles, ne répond pas, ou si peu, et cependant poursuit. D’autant qu’il s’est mis en quête -jusqu’à mener une forme d’enquête- d’élucider la mort d’un homme, dans une petite rue calme de Port-au-Prince. Pourquoi ce cadavre-là plutôt qu’un autre ? Eddy cherche, en marchant, en suivant les unes et les autres. Qui est cet homme, pourquoi lui a-t-il été tué ?
L'homme qui n'arrête pas d'arrêter, Guy Régis Jr, Ed Lattès, 399 pages, 21,90 €
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Art et designTranscription
00:00 "Les gens sont fous à marcher sans destination, tu le sais Ed."
00:04 Alors pourquoi tu dois te le dire ?
00:06 Tu le sais bien que les gens sont fous.
00:08 Toi, tu pourrais avoir une destination,
00:10 tu pourrais aller te chercher quelque chose,
00:12 te mettre sous la dent, quelque chose à marcher.
00:15 Ton premier exercice physique de la journée,
00:17 c'est ce que d'habitude les gens normaux se donnent comme exercice.
00:21 Ils prennent l'habitude de manger après leur sommeil.
00:24 En sortant du lit, ils se donnent cela comme premier projet.
00:27 Non, tu dis, tu ne veux pas traîner ta carcasse dehors à 7 heures.
00:31 Cela te demande trop d'efforts.
00:33 Tu n'es plus solide du tout. Tu as déjà tout.
00:38 Tu as déjà tant vécu que tu fais déjà si vieux.
00:41 Tu n'as envie de voir personne.
00:43 Tu préfères te montrer quand il fera un peu sombre l'après-midi à 5 heures.
00:47 C'est exactement l'heure que tu préfères,
00:50 quand le soleil commence à battre bas.
00:52 L'heure douce, l'heure maussade de l'après-midi,
00:55 quand il n'y a plus l'ardeur du jour,
00:57 quand les nerfs se lâchent, quand tout se fatigue.
01:01 Guy Régis Junior, bonjour.
01:04 Bonjour Valérie.
01:06 Merci pour cette lecture extraite de L'Homme qui n'arrête pas d'arrêter.
01:10 C'est votre dernier ou premier roman,
01:13 on parlera peut-être de ça plus tard,
01:15 paru aux éditions Lattesse.
01:18 Avant d'y venir, parcourons ensemble un petit peu votre trajectoire,
01:22 puisque vous êtes aussi bien écrivain que comédien,
01:25 dramaturge que directeur de festival.
01:28 On vous connaît d'ailleurs déjà au point pour plusieurs de vos tribunes
01:31 ou des entretiens à retrouver sur le site.
01:34 Vous êtes natif de Port-au-Prince en 1974, donc haïtien.
01:39 Vous partagez votre vie entre votre pays natal et la France,
01:43 principalement Paris, mais pas seulement.
01:45 Vous êtes chevalier des arts et des lettres,
01:48 officier des arts et des lettres.
01:50 Vous avez été pensionnaire de la Villa Médicis en 2021-2022.
01:55 Je viens tout de suite à un flashback personnel,
01:58 puisque j'ai eu la chance de vous voir sur la scène du Tarmac.
02:01 A l'époque, ce théâtre était à la Villette.
02:03 C'était en 2007, donc il y a très longtemps.
02:06 Vous vous appeliez encore Bacla Rocco.
02:09 Comme les mots, les surnoms, tout ça c'est votre affaire,
02:12 je voudrais qu'on commence par ce surnom.
02:14 Citez aussi votre pièce "Göbel, juif et footballeur",
02:18 qui est parue aux éditions de "Solitaire intempestif",
02:22 qui est la maison d'édition qui publie tout votre théâtre.
02:25 Une maison d'édition, je le rappelle, fondée par Jean-Luc Lagarce.
02:28 Dans cette pièce, justement, on parle du fait qu'un footballeur
02:32 peut s'appeler Göbel en Haïti, ce n'est pas un problème.
02:35 Alors à propos des noms, des surnoms, Bacla Rocco, c'était quoi ?
02:39 Bacla Rocco, je viens de l'apprendre il n'y a pas longtemps.
02:44 Baca, c'était aussi le nom des pygmées, des petits, des petits diables.
02:53 Et ces pygmées ont beaucoup apporté en Haïti,
02:58 toute la connaissance des feuilles, ce sont les pygmées.
03:03 Et aujourd'hui, chassés bien sûr par l'église catholique,
03:07 chassés après aujourd'hui, les haïtiens aussi,
03:11 quand ils disent Baca aussi, c'est toujours péjoratif.
03:15 Et aujourd'hui, on a seulement 30 000 pygmées qui existent.
03:21 Donc c'est vraiment un peuple extraordinaire,
03:25 qui a tout vécu.
03:28 Et j'ai trouvé que ce nom m'allait bien à l'époque
03:31 que j'avais commencé à faire du théâtre.
03:33 C'est plutôt les comédiens qui m'ont appelé Baca, Baca Rocco.
03:37 Alors Baca, petit diable, Rocco, rebelle.
03:42 Donc petit diable, rebelle.
03:44 Un peu trop fort pour, comme on dit en Haïti,
03:48 "gouonou tuyé ti chien".
03:50 Un nom trop fort, trop important, peut tuer le petit chien.
03:54 - Visiblement, il ne vous a pas tué, et tant mieux.
03:58 Et il y a un autre nom, qui est tout simplement le vôtre,
04:02 qui est Guy Régis Junior.
04:04 Alors vu d'ici, c'est-à-dire la France hexagonale,
04:08 on se dit "mais alors pourquoi Guy c'est quoi, Régis c'est quoi, Junior c'est quoi ?"
04:13 Et puis on va directement arriver à votre père, bien sûr.
04:17 Donc quel est ce patronyme ?
04:19 - C'est encore en lien avec l'esclavage.
04:23 On donnait n'importe quel nom à l'esclave.
04:25 L'esclave portait le même nom que la vache.
04:29 Je trouvais que c'était intéressant de jouer avec mon nom.
04:32 Je m'appelle normalement Guy Junior Régis.
04:35 J'ai deux prénoms, Guy Junior.
04:37 Régis c'est censé être mon nom de famille.
04:39 Régis, qui a un prénom ici,
04:42 comme beaucoup de personnalités françaises.
04:45 J'adore dire que il y a Édouard Philippe, c'est deux prénoms.
04:49 - En effet.
04:50 - C'est rien. Ce sont deux prénoms.
04:52 C'est mon père dans son originalité haïtienne,
04:58 parce qu'en Haïti on adore jouer avec les noms et les prénoms.
05:03 Qui a donné à son aîné, moi, Guy Junior Régis,
05:07 mon frère Müller, plutôt allemand,
05:10 et mon petit frère Eduardo, plutôt espagnol.
05:13 - C'est bien. Tout un monde.
05:16 - C'est extraordinaire. C'est pour ça que c'est très étrange.
05:19 Quand on est en France et que tout le monde s'appelle Hélène,
05:23 il y a 20 000 Xavier, 10 000 Kevin, Mathéo.
05:31 Ça nous paraît étrange, parce qu'il faut que ce soit original en Haïti.
05:35 - En Haïti on s'appelle Giscard ou Goebbels.
05:38 - Alors Goebbels c'est encore mieux, parce que c'est historique.
05:43 Il y a des Hitlers aussi, c'est ça qui est le plus étonnant.
05:48 Dans Hitler, je me souviens qu'il voulait être député.
05:51 - Ça commençait bien.
05:55 Arrêtons-nous un instant sur la figure du père,
05:59 parce qu'elle est assez présente même quand elle n'est pas visible.
06:04 En tout cas, elle a été très visible dans un premier texte en 2011,
06:08 d'ailleurs qui s'appelle "Le Père".
06:11 Et encore plus dans "Les cinq fois où j'ai vu mon père",
06:15 un texte qui est paru en 2020 chez Ganimar,
06:18 qui a été monté sur scène.
06:21 Je ne sais pas si c'est la scène ou le livre qui est arrivé en premier.
06:25 - C'est le récit qui a commencé.
06:29 J'ai commencé par le récit, puis j'ai travaillé sur l'adaptation théâtrale,
06:34 bien plus concie, et puis dans l'adaptation théâtrale aussi,
06:38 j'ai renversé. On a commencé plutôt par "La cinquième fois".
06:44 C'était plutôt un compte à rebours super intéressant en théâtre.
06:48 Et ce sera aussi un film d'animation dans quelques années.
06:52 - Ah bon ? - Oui.
06:54 - Voilà une nouvelle nouvelle.
06:56 Et ce père, alors, est-ce que vous pouvez en dire quelques mots ?
07:00 - Alors, évidemment que c'est très intime.
07:04 Je n'ai pas connu mon père longtemps, je l'ai vu très rarement.
07:10 Et j'ai eu envie de raconter cette histoire-là.
07:14 En tout cas, j'ai eu envie de retracer les moments où je l'ai vue.
07:19 Peut-être à mon âge, c'est le moment de le faire,
07:23 pour qu'il n'y ait plus de rancune, plus de rancœur, de régler les choses.
07:29 Et j'ai commencé à mettre sur le papier une fois, deux fois, trois fois,
07:33 et je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas tant de fois que ça.
07:36 Je ne pense pas que ce soit cinq fois, mais cinq, c'est un chiffre pas mal.
07:41 Une main, cinq doigts, pourquoi pas ?
07:45 Et aussi, j'ai commencé à revoir mon père, de mon propre chef.
07:50 Donc je vais le voir aux États-Unis.
07:53 J'envoie aussi ma fille, maintenant, le voir.
07:56 Ils ont une très très bonne relation, d'ailleurs.
07:58 Et c'est comme ça que j'ai eu envie de revenir sur ces choses-là,
08:01 de revenir à cette enfance.
08:03 Et puis de parler de ces histoires de pères qui partent,
08:08 et de pères qui partent aussi, dans quel pays les pères partent.
08:12 Et donc d'un coup, de la situation sociale en Haïti,
08:16 de la situation politique et historique même,
08:20 parce que c'est quoi la famille haïtienne ?
08:24 Comment on constitue la famille dans un pays
08:29 qui a vécu deux siècles, trois siècles d'esclavage
08:32 et qui a deux siècles ?
08:35 Est-ce qu'on reconstitue la famille avec des gens
08:38 qui ont vécu quand même dans des cases,
08:40 où la femme était dans une case, l'homme dans une autre case,
08:44 où l'enfant qui naît appartenait aux Blancs, aux propriétaires ?
08:48 Donc comment est-ce que cet homme-là se constitue au fil des siècles ?
08:53 Est-ce que c'est...
08:55 Voilà, le nègre nouveau dans cette colonie,
09:01 dans le pays d'Haïti, l'Ibéris,
09:05 comment on constitue la famille dans ce nouveau monde ?
09:09 Je me suis retrouvé face à toutes ces questions-là
09:11 en écrivant ce livre.
09:13 Donc c'était pas seulement mon histoire,
09:15 c'était l'histoire des Caribéens, des Haïtiens,
09:17 et de beaucoup d'autres gens dans le monde
09:20 qui voient leur père partir,
09:22 qui ont une absence quelconque dans la famille.
09:25 Ça, justement, c'est important, parce que c'est vrai qu'on remarque
09:29 que certains écrivains qui viennent de lieux
09:32 où les conditions de vie sont très difficiles
09:37 se sentent plus ou moins interdits de dire "je",
09:41 de s'intéresser, de frôler l'autofiction,
09:45 comme s'il y avait un devoir de parler au nom de son peuple.
09:49 Et là, vous faites très bien la liaison
09:53 sans aller ni dans l'un ni dans l'autre.
09:56 Vous nous donnez les deux à la fois.
09:58 Je ne suis pas le premier à le faire.
10:00 Justement, Émile Olivier a écrit...
10:03 Milo a écrit un très beau livre sur son père aussi.
10:07 J'ai eu quand même le retour de quelqu'un d'important
10:12 dans la littérature haïtienne aujourd'hui,
10:14 de Louis-Philippe d'Alembert, qui m'a dit
10:16 "écoute, avec ce livre, tu as vraiment raconté
10:19 l'histoire du père en Haïti".
10:21 C'est pour moi un livre très important en ce sens.
10:23 J'étais très touché, parce qu'il y a Milo,
10:26 il y a d'autres histoires, des mères, très souvent.
10:29 On aime bien parler des mères.
10:32 Je trouvais que c'était important de parler du père.
10:35 Mais en parlant du père, c'était pas simple.
10:40 Je trouvais ça facile de se dire "bon, le père, il part".
10:44 Voilà, c'est mon histoire personnelle,
10:47 j'ai quelque chose à régler avec lui.
10:49 Et ben non, les pères partent pour des raisons.
10:52 Je pense que les pères ont bien envie de paterner,
10:56 même si le mot n'existe pas.
10:59 Il y a quand même, dans toute cette bataille
11:05 de gens dans le monde, la présence autant
11:08 de la mère que du père qui est essentielle.
11:12 Donc vous avez commencé sur scène
11:19 et non pas par publier des romans, des nouvelles ou des récits.
11:24 C'est là où je voudrais que vous nous emmeniez maintenant
11:28 avec la création de la compagnie "Nous" en 2001.
11:31 Maintenant, c'est une longue histoire.
11:34 Et une pièce qui a marqué cette entrée de la compagnie
11:38 qui s'appelait "Service Violence".
11:40 Il y a deux questions.
11:42 La première, c'est est-ce que vous êtes resté fidèle
11:45 dans cette compagnie qui continue d'être la vôtre
11:48 au code du corps, de l'exhibition du corps
11:51 qui marquait votre entrée en scène ?
11:54 Et aussi, "Service Violence",
11:58 où on en est pour dire la violence aujourd'hui ?
12:01 Est-ce que... Voilà, c'est deux choses.
12:04 J'ai commencé à faire du théâtre de façon...
12:12 C'était un hasard qui m'a amené là.
12:15 J'ai fréquenté l'Institut français à l'époque
12:18 et j'ai vu un atelier d'écriture.
12:20 Je m'y suis inscrit.
12:22 Et puis, en m'inscrivant, on était toute une bande,
12:25 on était une cinquantaine, et petit à petit,
12:27 on est devenu 30, plutôt 20.
12:29 Il n'y a qu'une dizaine, je crois,
12:31 qui continuent à faire du théâtre aujourd'hui,
12:33 pour un mois.
12:35 Et c'est là qu'on se rend compte qu'il y a très peu de lieux
12:38 pour faire du théâtre.
12:40 Et comme j'étais jeune avec énormément d'envie,
12:43 j'avais la chance de fouiller dans beaucoup de livres
12:47 qui étaient présents à l'époque en Haïti,
12:50 à la bibliothèque de l'Institut français,
12:52 toute la collection, les voies de la création théâtrale.
12:55 Je pouvais voir des photos des spectacles
12:57 de Victor Garcia, Meierhold, Sanzislas,
13:02 mais Sanzowski, mais énormément de grands metteurs en scène,
13:08 mais aussi des théoriciens.
13:10 J'ai été bercé par les théoriciens, Brecht, Arthaud.
13:14 En même temps, tout en étant en Haïti,
13:18 et en étant témoin de formes spectaculaires
13:21 que j'aimais beaucoup, par exemple,
13:23 le rara ou les bandes à pied en Haïti,
13:27 c'est des formes spectaculaires que je trouve incroyables,
13:30 qui peuvent aussi s'apparenter au théâtre.
13:33 Les espaces où il y a de la théâtralité,
13:35 les lieux de cérémonie vaudou,
13:38 et d'ailleurs, Egoutowski et Peterborough,
13:43 qui sont deux grands hommes de théâtre du XXe siècle,
13:46 ont été en Haïti.
13:48 Ils ont vu ce qui se passait,
13:50 et ça les intéressait énormément.
13:52 Et quand Marlowe a rencontré Tygas,
13:55 c'était lors d'une performance au haut de la montagne.
13:58 - Oui, qui a fait changer son grande œuvre sur les arts
14:03 pour consacrer son dernier chapitre à l'école de Saint-Soleil.
14:07 - Exactement.
14:08 Donc tu avais quand même en Haïti aussi
14:11 la possibilité de penser théâtre dans l'espace public,
14:15 théâtre partout.
14:17 Et c'est comme ça que j'ai commencé, avec les autres,
14:20 en disant, bon, on va faire du théâtre partout.
14:22 C'était le mouvement Nous, théâtre partout,
14:24 et on a joué une trentaine,
14:26 non, voire une cinquantaine de fois dans les rues,
14:28 dans des costumes très stylisés, noirs,
14:30 parce que pour moi, c'était une couleur immatérielle,
14:33 et que Meyerhold parle beaucoup de biomécanique.
14:37 Dans la biomécanique, il faut pas de costume,
14:40 il y a des gestes biomécaniques,
14:43 qui sont aussi influencés par l'expressionnisme allemand,
14:48 fin 19e, début 20e,
14:50 tout ça qui tourne dans la tête du jeune haïtien que j'étais chez moi.
14:55 Et aussi un vrai regard sur nos gestuelles annonces,
14:59 sur nos formes spectaculaires.
15:02 J'ai créé un mouvement avec d'autres.
15:05 Ce mouvement-là a fini par me faire créer un spectacle
15:11 qui s'appelle Service Violence, où j'ai écrit les textes.
15:13 C'était des bouts de textes, d'interventions,
15:15 toutes les interventions qu'on avait faites dans les rues.
15:18 C'était aussi à l'âge où tu te poses des questions,
15:20 je dois aller chez mes parents, qu'est-ce que je vais devenir ?
15:24 Je pense que c'est ce qui arrive à des jeunes de 21 ans,
15:27 tu te poses des questions sur l'état dans lequel tu es,
15:32 l'état de ton pays aussi.
15:34 Et ces textes étaient des textes très politiques.
15:36 C'était sur la violence de l'État,
15:40 la violence de l'autorité étatique sur nous.
15:43 On paye, on n'a pas d'électricité,
15:46 on paye des taxes mais il n'y a pas de route,
15:49 on paye des taxes, il n'y a pas d'école,
15:50 il n'y a pas d'avenir pour les jeunes.
15:52 Il y a plus de 70% de gens en indigence généralisée.
15:58 Toutes ces questions-là, je les ai mises en spectacle.
16:03 Et puis il y a eu la mort de quelqu'un quand même,
16:06 ça m'a secoué énormément, la mort de Jean-Dominique.
16:09 Dans tout ce spectacle, ils avaient finalement tué l'homme.
16:13 Le journaliste bien connu.
16:16 Grand journaliste haïtien, agonome.
16:19 Donc c'était une grande figure quand même, intellectuelle haïtienne,
16:22 respectable et respectée, tuée au matin,
16:26 dans la station de radio.
16:28 Alors les crimes crapuleux et scandaleux en Haïti,
16:32 il y en a beaucoup, mais là c'était vraiment,
16:34 ça allait trop loin.
16:36 Et le spectacle aussi, il y a ce texte qui traverse tout le spectacle.
16:41 J'ai créé ce spectacle qui a pu tourner
16:44 au Théâtre National de Bousselles,
16:46 et puis qui m'a permis de faire un mois au Conservatoire Royal de Liège
16:50 parce que cette forme de théâtre les a intéressés.
16:53 Ils voulaient que je travaille avec les étudiants là-dessus.
16:57 Mais en revenant en Haïti, c'était terrible
16:59 parce que tout le monde imitait ça.
17:02 Et c'est comme ça que j'ai décidé de partir,
17:05 parce que pour moi c'était un début.
17:07 C'était une recherche,
17:09 c'était un travail de laboratoire qui a duré 4 ans,
17:12 mais c'était un laboratoire.
17:14 Je ne voulais pas emprisonner le théâtre haïtien dans ma forme.
17:18 Il y a diverses formes possibles.
17:20 J'ai eu très peur.
17:22 Je suis parti.
17:24 Je suis parti parce qu'il y a beaucoup de succès.
17:27 En fait, il y a deux choses qui peuvent te tuer,
17:29 c'est le succès ou la défaite.
17:31 Et là, c'était trop de succès.
17:33 J'ai toujours fui aussi la gausse tête.
17:38 Et puis dans une île, tu évites la grosse tête,
17:41 tu évites l'unique représentant du théâtre.
17:46 Ça ne m'intéressait pas.
17:48 Je voulais venir dans un pays où c'était justement la guerre
17:52 pour prendre sa petite place.
17:54 Et j'ai fait ça en venant dans une résidence au Récolet,
17:58 au beau centre de Paris, près du canal Saint-Martin,
18:03 où j'ai pu écrire.
18:05 C'est une autre période de ma vie où j'ai plus écrit que mettre en scène.
18:09 Aujourd'hui, j'aime beaucoup parce qu'on me considère d'abord
18:11 comme de la mature enfant.
18:13 C'est une grosse blague.
18:14 En Haïti, je suis considéré plus comme metteur en scène.
18:16 J'ai continué à écrire et j'ai rencontré
18:20 cette maison d'édition magnifique.
18:22 Ils ont lu mes pièces et j'en ai publié.
18:25 La pièce que j'ai bien sûr que j'aime le plus,
18:28 c'est "Mourir Tente" parce que j'ai mis beaucoup de temps
18:33 avant de finir cette pièce dans cette résidence.
18:37 Une fois que je l'ai écrite, je n'ai jamais pu la monter
18:42 parce que les monologues de cette femme sont très longs.
18:46 La présence d'une femme incroyable dans la pièce.
18:48 Comme beaucoup de ces pièces-là à l'époque,
18:50 les personnages centraux sont des femmes.
18:54 C'était important aussi, par la discrimination
18:58 qu'on pouvait vivre en tant que Noir,
19:00 de comprendre aussi la discrimination sexuelle
19:02 que les femmes pouvaient vivre.
19:03 Comme je savais cette grande histoire,
19:06 que beaucoup, enfin les femmes étaient jouées par des hommes
19:09 tout au long du théâtre antique et même pendant Shakespeare.
19:13 C'était très drôle de changer la donne.
19:15 Il y a plus de personnages de femmes dans mes pièces.
19:18 Comme ça que j'ai écrit mon fardeau inhérent
19:20 de toute la terre, le grand effarement.
19:22 Des pièces avec des personnages de femmes.
19:24 - Ida. - Ida, voilà.
19:25 Très important parce qu'aujourd'hui,
19:28 quand je me dis, tiens, j'ai écrit des pièces avant "Me Too"
19:30 quand même avec des rôles très importants pour les femmes.
19:34 - Et d'ailleurs, vous avez donné un rôle magnifique
19:37 à Nathalie Vérac dans une pièce qui vient d'obtenir le prix
19:41 de la Critique 2023 de la meilleure création en langue française.
19:45 C'est "L'amour tel une cathédrale ensevelie"
19:48 qui a récemment été jouée au théâtre de la Tempête
19:50 à la cartoucherie, qui parle de, finalement,
19:53 de ces départs qui concernent pas seulement Haïti,
19:57 mais du phénomène de la migration
20:00 et qu'est-ce que ça crée au sein d'une famille.
20:03 Et voilà, je passe un peu sur cette pièce
20:07 pour en arriver quand même à un moment,
20:09 justement, à l'écriture solitaire,
20:12 c'est-à-dire celle qui n'est pas pour être représentée,
20:15 qui n'est pas écrite pour être jouée,
20:17 donc pas pour un spectateur, mais pour un lecteur.
20:19 Alors, vous avez commencé par réunir des enfances créoles
20:23 dans un très beau recueil.
20:25 "Une enfance haïtienne" que je conseille à tout le monde
20:29 pour connaître comme ça les moments d'un certain nombre d'écrivains haïtiens.
20:33 C'est vraiment formidable, ce livre.
20:36 Je ne me pose pas la question de la forme,
20:40 mais je sais quand j'écris pour être lu debout
20:44 et je sais quand j'écris pour être joué,
20:46 comme une pièce de théâtre.
20:48 J'ai plusieurs romans dans mes...
20:54 ou dans mon tiroir, en tout cas sur mon ordinateur.
20:57 J'ai beaucoup aimé des écrivains qui prenaient le temps
21:01 de cracher leurs textes.
21:03 Par exemple, on va parler de quelqu'un, justement,
21:06 qui m'a inspiré pour écrire ce livre,
21:08 qui, lui, Georges Pérec,
21:11 il avait écrit quatre ou cinq ou six fois
21:14 avant d'écrire les choses.
21:16 Il avait écrit beaucoup de romans avant d'en arriver là.
21:19 Et c'est comme...
21:21 Et je ne pense pas...
21:23 Pour la pièce de théâtre, c'est aussi pareil.
21:25 J'ai beaucoup d'ouvrages que je commence.
21:28 Il y en a que j'ai fini, mais que je dépose
21:31 et je peux y revenir.
21:33 Vous savez, il y a 365 jours sur 365 jours.
21:37 Franchement, à chaque mois, 30 jours,
21:40 on peut vraiment travailler.
21:42 Si on veut vraiment travailler,
21:44 on a le temps de travailler si on se concentre.
21:46 Si on n'est pas dans la période aujourd'hui
21:48 où je n'ai pas très envie de travailler.
21:50 - Ah bon, c'est les vacances.
21:52 - J'ai un peu fatigué.
21:54 Je n'arrive pas à reprendre un nouveau texte, justement.
21:57 Je suis toujours en train de revoir les autres textes.
22:00 Et donc, ce livre-là, je l'ai écrit très rapidement
22:05 et j'avais besoin de raconter cette histoire-là.
22:08 J'avais besoin que ce soit adressé
22:12 à une personne.
22:14 Donc, c'est ça pour moi, un roman.
22:16 Dans sa main, peut-être qu'on peut le lire à deux,
22:19 mais alors ce serait un couple.
22:21 Mais ce qui est incroyable, c'est ce rapport avec le lecteur
22:24 sur une situation que j'ai vue en Haïti
22:27 et qui m'a énormément interpellé
22:29 puisque je n'ai pas vécu le tremblement de terre.
22:32 - Le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
22:35 Vous n'étiez pas à Port-au-Poing.
22:37 - J'étais pas à Port-au-Poing, j'étais à Ouagadougou.
22:40 Et c'était aussi très violent pour moi
22:43 d'être à l'extérieur, de ne pas être avec les miens.
22:47 Et quand je suis arrivé, j'avais bien sûr un peu de recul,
22:51 mais je suis vite tombé dedans parce que je suis arrivé
22:54 en février, donc très rapidement, même pas un mois plus tard.
22:58 Et il y avait encore des décombres.
23:01 Et mes amis, donc les jeunes gens, jeunes filles de l'époque,
23:05 j'ai eu beaucoup d'échanges avec eux.
23:08 Jusqu'à présent, les gens qui ont vécu ce tremblement de terre
23:11 parlent de ce moment-là.
23:13 Mackenzie dit "moi, je suis mort ce jour-là".
23:15 - Mackenzie Orsell.
23:16 - Mackenzie Orsell, il me le répète.
23:18 Il dit "de toute façon, je suis mort ce jour-là".
23:20 Et j'ai entendu tellement d'histoires de rescapés,
23:23 comédies, que j'ai voulu raconter.
23:26 Mais en ce moment, pourquoi en ce moment?
23:28 Parce qu'en ce moment, j'ai comme l'impression
23:31 que ce qu'on a, ce que ces jeunes-là ont vécu en 2010,
23:36 ces jeunes-là qui ont aujourd'hui 20 ans, 21, 22, 23,
23:42 si la nouvelle génération qui avait mon âge
23:46 quand j'ai commencé à faire du théâtre,
23:48 soit on est de côté ou soit on est de l'autre,
23:50 je pense que toute la violence aussi que ces jeunes-là commettent,
23:56 que ce soit les gangs ou que ce soit d'autres,
24:00 ça ne vient pas de nulle part.
24:02 Ce rapport avec la mort, cette facilité de tuer,
24:05 je ne l'ai pas connu.
24:08 Je ne l'ai pas connu moi dans mon enfance,
24:10 je ne l'ai pas vécu.
24:12 Il y a une facilité,
24:14 il y a une espèce de concomitance avec la mort
24:17 que je vois dans la société haïtienne,
24:19 avec les crimes, avec les kidnappings.
24:23 C'est un pays où on pouvait laisser son enfant chez le voisin.
24:26 Le voisin avait un regard important sur ses enfants.
24:30 Aujourd'hui, on se retrouve avec un pays
24:32 où on peut kidnapper l'enfant.
24:35 Je n'ai pas vu ça.
24:37 Je ne dis pas que c'est une cause à effet,
24:40 c'est vraiment le déterminant,
24:44 mais en même temps, je me dis qu'on ne sera pas indemne
24:47 d'une catastrophe aussi grave, aussi énorme.
24:50 Et donc, c'est le cheminement de cet Eddie Salvateur
24:55 qui lui est plutôt l'inverse.
24:57 Il voit un mort et ça le choque.
25:00 Et aussi, je pense que c'est souvent le cas d'un créateur
25:06 ou d'un artiste, cette sensibilité de se dire
25:09 que ce n'est pas possible que ce soit comme ça.
25:11 Ce n'est pas possible qu'on s'habitue comme ça avec la mort.
25:14 Il fait ce cheminement-là pour retrouver ce type,
25:18 pour connaître l'avis de ce type qui est mort,
25:21 il vient d'où, c'était qui sa famille.
25:23 Il fait une sorte d'enquête.
25:26 Comme moi, je pourrais tenter de faire...
25:31 Et aussi, il marche dans sa ville.
25:34 Comme je sais que vous connaissez assez bien cette ville
25:37 que j'aime énormément.
25:38 D'ailleurs, la première fois qu'on s'était vu à Port-au-Prince,
25:41 c'était dans un café que j'aime énormément,
25:43 au bar de l'air, au centre de Port-au-Prince,
25:47 où je ne peux plus y aller aujourd'hui
25:49 parce que justement, c'est des zones un peu suspects.
25:53 Alors que Port-au-Prince, pour moi, pour vivre cette ville,
25:55 il faut marcher dedans, il faut traverser de quartier en quartier.
26:00 Il y a des collines partout, 13 collines,
26:03 d'une colline, de chaque colline, tu peux voir la mer.
26:05 Enfin, comme toute ville, il faut marcher, quoi.
26:10 Et lui, il marche la nuit.
26:12 Ce que j'aimais aussi faire dans Port-au-Prince,
26:15 c'est que quand on finissait des soirées bien arrosées,
26:18 en bas de la ville, on remontait à pied,
26:22 qu'il soit à 2 heures du soir.
26:24 Et il n'y a pas longtemps, d'ailleurs, jusqu'en 2018,
26:26 on pouvait faire ça.
26:28 On se retrouve avec une ville complètement enfermée,
26:30 qui nous fait peur, alors que c'est une ville ouverte,
26:33 une ville sur la mer, une ville festive.
26:36 Il y a des rues qui ne ferment jamais dans Port-au-Prince.
26:38 Même aujourd'hui encore, il y a une ou deux rues
26:41 qui résistent encore.
26:43 Je voulais me promener la nuit
26:46 avec ceux qui allaient lire ce livre, quoi.
26:50 Mais c'est tout à fait réussi parce que c'est vrai
26:52 qu'on est complètement dans Port-au-Prince.
26:54 C'est donc un personnage qui se parle à lui-même,
26:57 qui était fonctionnaire au service des passeports
26:59 et des visas, qui était finalement assez bien casé.
27:02 Et que le tremblement de terre du 12 janvier
27:06 détruit intérieurement.
27:08 Il ne sait plus où est sa tête, il ne sait plus où est sa voix.
27:10 Il s'abrutit d'alcool, il se promet de ne pas recommencer
27:15 le lendemain, mais bon.
27:17 Et en effet, il jette son dévolu sur ce mort parmi tant d'autres.
27:23 Et on n'est pas juste après le tremblement de terre.
27:26 Les choses ont vraiment changé.
27:30 Mais à l'intérieur des gens, non.
27:33 Et c'est une spirale splendide
27:37 qui se déroule comme une boucle.
27:39 C'est vrai que l'adresse d'Eddie à lui-même
27:43 pourrait devenir presque suffocante.
27:46 Vous avez toujours aimé ça dans votre théâtre aussi,
27:48 la répétition.
27:49 Et il y en a qui suffoqueront, tant pis.
27:52 Mais la plupart, ils seront du moins comme moi,
27:54 et bien d'autres, envoûtés, magnétisés, hypnotisés,
27:57 ce n'est pas le mot, parce que ça voudrait dire qu'on s'endort,
28:00 on reste constamment en éveil derrière votre personnage.
28:03 Et d'ailleurs, on est particulièrement réveillés
28:07 quand il s'agit de ces retrouvailles avec les femmes,
28:09 parce que là, il y a des scènes de sexualité très fortes.
28:12 Et puis, il y a évidemment un final sur les poètes
28:16 où on voit que vous êtes, comme dirait Chamoiseau,
28:18 un marqueur de parole.
28:20 Alors, il y a cette phrase qui résume un peu
28:23 ce que vous venez de dire,
28:24 "Une catastrophe avec son lot de morts
28:26 qui transforme un peuple en agent de la mort."
28:29 Alors maintenant, passons quelques instants quand même
28:32 sur la situation actuelle de votre pays.
28:35 Donc là justement, le Premier ministre réclamait une aide
28:40 que les Américains semblent prêts plus ou moins à apporter.
28:45 Enfin, il y a un nouveau regard là, ces derniers jours,
28:47 de début juillet 2023 sur la situation haïtienne
28:51 à travers la visite d'Antony Blinken.
28:54 Qu'est-ce que... Je ne sais même pas quelles questions poser d'ailleurs,
28:58 parce que je ne sais plus par quelles.
29:00 C'est un apprentissage de la démocratie qui dure.
29:05 C'est ça qui est terrible dans tout ce qu'on est en train de vivre aujourd'hui.
29:09 Et c'est intéressant de partir de ce livre pour parler de cela.
29:14 On a eu un président complètement catastrophique
29:20 après le temblement de terre.
29:21 Ils ont proposé un président parce que c'était comme une sorte de vote de censure
29:26 contre les autres présidents.
29:28 Ils nous ont proposé.
29:30 Monsieur Martelly, il citait aussi une proposition
29:34 de la communauté internationale, en tout cas par l'ONU,
29:38 qui était en Haïti, un certain Müller,
29:40 qui a décidé que ça allait être Martelly qui devait aller au deuxième tour.
29:44 On a bien compris que c'était un jeu un peu terrible.
29:48 D'ailleurs, l'ancien président Prival l'a expliqué,
29:51 qu'en fait, au deuxième tour, ça ne devait pas être Martelly.
29:54 La question que je me pose, c'est que si on avait aujourd'hui
29:59 les deux autres candidats, c'était Jude Célestin
30:05 et Mme Mirlen Maniga, quel pays on aurait eu ?
30:10 Est-ce qu'on aurait ce rapport avec les gangs ?
30:13 Contrairement à Martelly, qui était déjà connue pour ses liens
30:19 avec certains groupes de la société,
30:23 qui très rapidement a pris contact dans les quartiers
30:28 plutôt avec les gangs.
30:30 Ce que je trouve le plus dur dans cette histoire,
30:35 ce n'est pas lui qui a commencé, bien sûr,
30:37 il y a eu aussi beaucoup de liens d'héricides
30:39 dans les quartiers populaires avec les jeunes.
30:41 Avec les chimères.
30:42 Avec les chimères, donc avec les jeunes.
30:44 Au fait, moi, ce qui me désole en Haïti, c'est l'incompétence.
30:47 Mais bon, on va dire qu'aujourd'hui, c'est ce qu'on est en train de vivre en France,
30:52 avec l'incompétence de gérer les quartiers, de gérer les jeunes,
30:55 d'avoir un rapport social beaucoup plus égalitaire avec les gens.
30:59 Comment on fait avec ces gens-là ?
31:03 C'est trop pour eux, dans notre société.
31:06 Les parents démissionnent,
31:08 et donc les institutions de l'État qui devaient prendre en main ces jeunes-là,
31:12 elles démissionnent aussi.
31:14 C'est ça, en fait. C'est une situation.
31:16 Comme c'est un domaine qui m'intéresse énormément,
31:19 mes premières études, c'était les sciences humaines,
31:22 et donc, quand même, en psychosocial,
31:25 j'ai eu une idée de ce que ça peut être du travail avec des jeunes dans des quartiers difficiles.
31:30 Il faut que, dans ces pays-là, en tout cas en Haïti,
31:34 qu'on prenne en compte ces quartiers mal famés,
31:37 pas génials, quoi, d'où je viens, moi, d'ailleurs.
31:41 Il faut y aller, il faut travailler avec les gens,
31:44 travailler avec les mères,
31:46 pour que les pères ne partent pas,
31:49 afin qu'on arrive à une société plus égalitaire.
31:53 Et c'est cette injustice-là qui se transforme, demain, en bras armés.
31:58 Je dis souvent si à Martisson,
32:01 qui est quand même un des plus beaux endroits de Power Prince,
32:04 on avait des conservatoires de musique ou de danse,
32:08 je crois qu'il y aurait des danseurs,
32:10 pas des criminels.
32:13 Et si les politiciens respectaient la vie des gens et les jeunes,
32:17 ils n'iraient pas dans ces lieux-là pour armer les jeunes.
32:20 Parce que quand on vient dans le quartier populaire, Valérie,
32:23 c'est impossible de posséder une arme.
32:25 Comment une arme peut atterrir chez toi ?
32:28 Déjà, une arme, c'est extrêmement cher.
32:30 On se retrouve dans un quartier populaire
32:32 avec une arme qui coûte 14 000 $.
32:35 Déjà, c'est assez clair, c'est marrant.
32:39 Parce que tu te dis, bon, tout d'un coup,
32:41 c'est pas à manger, c'est pas des écoles qu'on amène là,
32:45 mais plutôt comment on peut utiliser ces gens-là
32:48 comme de la chair à canon pour les politiciens,
32:52 les bras armés pour les pires des malfrats.
32:56 Et donc, pas seulement les politiciens,
32:59 les grands financiers aussi,
33:01 ceux qui ont de l'argent en Haïti et qui ont besoin de sécurité,
33:04 ils utilisent aussi les jeunes pour les transformer en gang.
33:08 C'est cette situation-là.
33:10 C'est de ça qu'on parle.
33:12 Cela arrive quand ?
33:14 Après le tremblement de terre,
33:16 un gouvernement qui ne sait pas comment gérer ça,
33:19 donc de l'incompétence,
33:20 et petit à petit, ces quartiers deviennent infernaux.
33:24 On ne peut pas entrer.
33:26 On a vu que ça pouvait arriver là,
33:28 mais tout d'un coup, quand tu as des incompétents au pouvoir,
33:31 ça se transforme en...
33:33 Donc, ce que Blinken a appelé,
33:40 c'est-à-dire la communauté internationale à venir en aide,
33:44 ce serait quelle forme à prendre ?
33:48 Ce n'est peut-être pas le rôle d'un artiste...
33:51 Non, mais c'est intéressant de parler...
33:53 Moi, ça m'intéresse énormément,
33:54 parce que là, on ne parle jamais de la vraie situation.
33:57 La vraie situation, elle est sociale.
33:59 C'est une situation dans les quartiers qu'il faut résoudre.
34:02 Et pour résoudre la situation,
34:03 il faut parler de justice sociale.
34:06 Il faut que les ressources de ce pays
34:08 puissent être distribuées partout,
34:10 et qu'il y ait plus d'égalité.
34:11 À partir de ce moment-là,
34:12 si, quand on parle de Blinken
34:14 ou de la communauté internationale qui arrive,
34:16 il faut très vite penser qu'on ne va pas prendre les armes
34:20 et chasser les jeunes des quartiers,
34:22 et puis tout d'un coup, ça va se résoudre.
34:23 Non, il y aura de nouveaux jeunes,
34:25 il y aura de nouvelles familles dans des situations compliquées.
34:27 Il faut...
34:28 Il y a une urgence à ce qu'il y ait moins de misère dans ce pays-là
34:31 et dans tous ces quartiers.
34:33 À partir du moment où on aura résolu ça,
34:36 je me dirais, oui, c'est très bien,
34:37 mais il faut quand même un grand plan.
34:39 Parce que ce n'est pas juste...
34:41 Voilà, on emmène une armée, on fait les élections.
34:44 Je crois que tout de suite après,
34:46 il faut penser comment rebâtir.
34:48 Exactement comme en France,
34:49 il ne s'agit pas de parquer les gens
34:51 et de les mettre dans des...
34:54 et de penser que, bon, voilà, on a tout résolu.
34:56 C'est très difficile pour eux de venir.
34:58 De toute façon, c'est très cher le RER.
35:00 Mais en fait, non, ça peut éclater du jour au lendemain.
35:03 Alors, on va revenir sur ce qui est un petit peu
35:07 le final de votre livre.
35:09 Enfin, je ne veux pas...
35:11 Enfin, disons qu'on va quand même beaucoup vers la poésie,
35:14 vers l'écriture.
35:16 Et je sais que vous travaillez actuellement en résidence,
35:19 ou je ne sais pas si c'est terminé, à Bordeaux,
35:21 sur le thème du déboulonnage et de ces statues.
35:26 C'est tout à fait passionnant.
35:28 Alors, qui mérite aujourd'hui une statue
35:31 dans vos écrivains, dans vos repères,
35:34 dans vos...
35:36 À qui voudriez-vous que soit érigé un monument ?
35:42 Pas de monument, mais quand même
35:45 que cet écrivain soit dans la mémoire.
35:48 Que ces livres soient plus vendus, par exemple,
35:53 qu'ils soient représentés dans les écoles,
35:55 qu'ils soient...
35:56 Faut qu'ils tiennent, parce qu'aujourd'hui,
35:58 c'est quand même l'un des plus vieux.
36:01 Il nous reste encore quelqu'un comme Depestre,
36:04 encore vivant, mais bon, très vieux.
36:07 Mais Frank Etienne, en Haïti, a une importance capitale.
36:10 Frank Etienne, je ne connais pas deux écrivains connus,
36:13 qui est voyagé seulement à 52 ans,
36:16 qui a eu un passeport et a laissé son pays
36:18 seulement à 52 ans.
36:20 Et sa présence en Haïti était très, très importante.
36:22 On a vu, là, il a juste fait lancer une sonnette d'alarme
36:26 et tout d'un coup, tout le monde est devenu chez lui.
36:28 Je trouve ça extraordinaire dans ce pays.
36:30 - Ah, récemment, tout le monde est venu chez lui.
36:32 - Tout le monde est venu chez lui, apporter son aide,
36:34 acheter un tableau, acheter ses livres.
36:38 C'est incroyable.
36:40 - Il vient encore d'en écrire un, d'ailleurs.
36:42 - C'est ça. Il n'arrête pas d'écrire, mais il est...
36:45 C'est extraordinaire, ce bonhomme,
36:47 mais c'est surtout quelqu'un qui nous a toujours accueillis,
36:51 c'est-à-dire tous les jeunes qui voulaient écrire,
36:54 ceux qui voulaient, même si on vient du Quartier Populaire,
36:58 comme lui, faire autre chose.
37:01 En tout cas, ne pas toucher à une arme,
37:04 mais plutôt à l'écriture.
37:06 En tout cas, il nous a toujours conseillés comme ça.
37:08 Et quand tu es arrivé chez Franck Etienne,
37:10 tu disais, tu es jeune, voilà tout ce que tu peux faire en une journée.
37:13 Ce que je disais tout à l'heure, en 30 jours,
37:16 vous voyez tout ce qu'on peut faire, tout ce qu'on peut écrire en 30 jours,
37:19 si on s'y met.
37:20 Vous voyez le nombre de tableaux que j'ai peints.
37:23 Et ça, c'est extraordinaire.
37:25 Et puis, autre chose qui est quand même...
37:28 Moi, c'est un des rares écrivains aussi qui pouvait
37:31 dire librement, ouvertement, qui il lisait.
37:34 Franck Etienne nous raconte sa...
37:36 son influence, la grande influence que le nouveau roman a eue sur lui.
37:40 Franck Etienne parle de toutes ses lectures.
37:42 Franck Etienne est un écrivain aussi pas du tout linéaire,
37:46 donc un écrivain dans la recherche, énormément.
37:49 Pour moi, c'est un écrivain contemporain extraordinaire,
37:52 une modernité incroyable à toutes épreuves.
37:55 Moi, je viens d'un pays de grands écrivains,
37:58 mais c'est un pays avec des artistes assez classiques aussi,
38:02 qui vite me fatiguent.
38:04 Mais Franck Etienne, il y avait toujours cette porte ouverte
38:10 sur ce qui est très différent, sur ce qui peut troubler...
38:16 Le chaos, le chaos Babel.
38:18 Le chaos, bah oui, que ce soit son écriture, que ce soit sa peinture.
38:21 Et cette recherche esthétique-là, à toutes épreuves,
38:25 quand on est homme de théâtre, et quand on fait aussi de la vidéo,
38:29 en tout cas c'est mon cas, je crois que Franck Etienne m'a influencé là-dessus.
38:33 Il n'y a pas une forme d'art, il n'y a pas une forme d'écriture.
38:37 Et d'ailleurs, je crois que c'est Franck Etienne qui le dit,
38:41 que Glissant dit souvent, et Chamoiseau aussi,
38:45 qu'ils n'auraient pas pu écrire comme ils écrivent s'il n'y avait pas Franck Etienne.
38:48 Il y a quelque chose d'extraordinaire là, chez ce bonhomme.
38:52 Et c'est pour ça qu'il se trouve dans le livre "Qui a les voix si on veut être sauvé dans ce chaos".
38:58 Voilà, c'est vraiment Franck Etienne le sauveur,
39:01 et vous lui faites un monument de page en quelque sorte,
39:04 donc c'est la meilleure façon de lui rendre hommage.
39:07 Alors pour terminer notre entretien,
39:10 après avoir réindiqué "L'homme qui n'arrête pas d'arrêter"
39:17 aux éditions Jean-Claude Lattès de vous, Guy Régis Junior,
39:21 je vous propose de nous quitter en lecture.
39:25 C'est l'extrait d'une traduction, puisque vous êtes aussi traducteur,
39:30 et là pour le coup de classique.
39:33 Peut-être que certains vous fatiguent, mais enfin,
39:36 vous avez travaillé en créole sur Albert Camus, Maurice Maiterlinck,
39:41 Bernard-Marie Colthesp, et un certain Marcel Proust.
39:45 Alors merci pour cet entretien, d'être venu jusqu'au point, Guy Régis Junior,
39:50 et on vous entend dans le début de la recherche de Marcel Proust,
39:55 traduite par vous en créole.
39:58 L'homme qui n'arrête pas d'arrêter.
40:04 Parfois, à peine balayé, j'ai fini,
40:09 j'ai déjà fermé tellement vite,
40:12 je n'ai pas gagné le temps pour me tailler le tête,
40:16 pour dormir.
40:18 Et un demi-heure après, finalement, l'idée,
40:21 il faut que j'ai le temps pour chercher le sommeil,
40:24 je me suis levé pour dormir.
40:26 J'ai fait un petit volet, posé, volé mon livre,
40:29 j'ai fait "Quoi qui t'arrête là",
40:31 j'ai fait un petit "Moi encore", et puis soufflé,
40:34 éteint la lumière.
40:36 Je me suis dit qu'à ce point de faire,
40:38 pendant que je dormais,
40:40 quelques réflexions m'ont été données.
40:42 Mes réflexions ont été transformées.
40:45 Elles étaient semblées, c'était sous moi,
40:47 un livre qui m'a apporté à parler.
40:49 Il y a l'église, il y a le quartier,
40:52 la rivalité entre François Ier et Charles V.
40:56 Croyant ça, il était toujours vivant dans ma tête,
40:59 pendant quelques secondes de réveil, moi encore.
41:02 Il n'est pas très vieux, je crois qu'il a raison.
41:05 Il était rété tant qu'il était caillé,
41:07 sous la peau d'un objet, moi.
41:09 Il était empêché de se dire "Pas de baleine,
41:11 pas de même, lui-même, encore".
41:13 Après, il y avait une paraitre plus claire pour moi,
41:17 tout comme rien qu'à n'a s'y en plaisait,
41:19 penser, si on l'avait passé en vent, en vent.
41:22 Parole, livre, là, t'es apparlé,
41:24 t'es détaché de moi.
41:26 On était libre pour moi,
41:28 soit rentrer dans la juette, là, ou non pas.
41:31 Tout de suite, on était finis d'ouvrir chez moi.
41:34 On était bien étonnés de retrouver
41:36 tête moindre en même temps,
41:38 et on faisait noir, douce,
41:40 et puis bien reposant, pour déjeuner, moi.
41:42 Peut-être même plus, pour l'esprit, moi, tout.