Chrstine Angot interview @ Le Bateau livre, 7 sep 06

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00:05 *Musique*
00:11 Au sommaire du bateau livre cette semaine rencontre en tête à tête avec Cristine Angot
00:15 son nouveau roman "Rendez-vous" met en scène une fois encore son double en littérature "Elle-même"
00:19 "Rendez-vous" décrit dans le détail une histoire d'amour et d'écriture.
00:22 Les choix de la rédaction vous feront découvrir nos coups de coeur de la rentrée
00:26 un récit étrange et plusieurs romans étrangers.
00:28 La rubrique "Points de vue" accueille Yasmina Kadra.
00:31 C'est cette galerie de personnages dans cette banlieue de Seattle.
00:35 – Merci Aude.
00:36 Cristine Angot, c'est l'une des femmes et l'un des écrivains les plus en vue de la rentrée.
00:43 Son nouveau roman comme toujours écrit au plus près de soi
00:47 suscite, comme toujours provoque, peut-être un meilleur mot, des réactions diverses.
00:52 Certains l'adorent, d'autres la détestent.
00:55 Entre nous, moi j'aime assez.
00:57 Ça s'appelle "Rendez-vous" et c'est chez Flammarion.
01:00 Alors à nous deux.
01:02 On va dire c'est l'histoire d'un chagrin, d'un amour qui n'a pas lieu.
01:06 – Non, non, non, non, non, c'est pas l'histoire d'un chagrin.
01:08 – C'est pas l'histoire d'un chagrin.
01:09 Alors c'est l'histoire de ?
01:10 – C'est pas l'histoire d'un chagrin, c'est l'histoire d'une rencontre.
01:13 C'est pas l'histoire d'un amour qui n'a pas lieu.
01:16 C'est l'histoire d'un amour en train de se faire, en train de se découvrir.
01:21 Sinon ça ne serait pas appelé "Rendez-vous".
01:23 C'est l'histoire d'un rendez-vous.
01:25 – D'accord.
01:26 Alors pour moi, c'est l'histoire d'un chagrin, d'un amour qui n'a pas lieu.
01:31 – Vous, ça vous rentre ?
01:32 – Non, pas forcément.
01:33 – Si c'est l'histoire d'un chagrin pour vous.
01:34 – Je vous dis pour moi.
01:35 C'est l'histoire d'un amour qui n'a pas lieu
01:37 ou qui n'a d'autre lieu que l'écriture.
01:40 Donc qui n'a d'autre lieu que dans la quête
01:43 ou dans l'inachèvement de l'écriture.
01:47 J'ai envie de dire que ce que vous dites c'est
01:50 "Être aimé c'est bien, mais ce que vous voulez, vous, c'est comprendre".
01:55 – Oui, évidemment.
01:58 C'est évident que...
01:59 – Mais les gens, c'est pas leur souci.
02:01 – Ah, ben ça...
02:02 – Vous, c'est votre obsession.
02:03 – Oui.
02:04 – Le mot revient...
02:06 Il y a des passages où c'est presque un leitmotiv.
02:09 C'était normal qu'il fasse cette tête.
02:10 Il ne comprenait pas que je ne comprenne pas.
02:12 Je n'avais pas pris cette clé.
02:13 Au contraire, j'avais dit "Mais alors, je ne comprends pas.
02:15 Je ne comprends pas comment tu peux te sentir amouré et conduit.
02:17 Je ne comprends pas".
02:18 Enfin, c'est obsessionnel.
02:20 Vous, vous voulez comprendre.
02:21 Être aimé, ça ne suffit pas.
02:23 – C'est-à-dire que, autour de l'amour, la question qui nous...
02:31 Ce n'est pas mon obsession.
02:33 La question qui nous obsède autour de l'amour, c'est la question du doute.
02:39 C'est-à-dire, est-ce que c'est de l'amour ?
02:41 Est-ce que ce n'est pas de l'amour ?
02:42 Si on me dit "Je t'aime", est-ce que ça veut dire qu'on m'aime ?
02:46 Ou pas forcément.
02:48 Et si on me dit "Je ne t'aime pas", est-ce que ça veut dire qu'on ne m'aime pas ?
02:54 Et exactement la même chose, si c'est moi qui dis "Je t'aime", est-ce que j'aime ?
03:01 Et si je me dis "Celui-là, je ne veux surtout pas en entendre parler",
03:06 qu'est-ce que ça signifie ?
03:08 Voilà.
03:09 Donc si vous voulez, c'est ça.
03:10 C'est tout ce qui est autour de l'allégation d'amour et de la dénégation d'amour
03:13 qui nous...
03:15 Et donc ça, il faut le comprendre.
03:17 – Oui, d'accord.
03:18 Alors, on va dire pour les gens qui nous écoutent,
03:19 qui n'ont pas encore lu ce livre, considère-moi que c'est probablement
03:22 un de vos meilleurs livres, mais c'est un sentiment personnel.
03:25 On va dire, vous décrivez en temps réel, heure par heure, jour par jour,
03:28 minute par minute, le l'encheminement d'un sentiment,
03:32 dont vous venez de dire que vous hésitez à nommer,
03:35 peut-être justement parce que c'est de l'amour,
03:37 comme si vous étiez contemporaine de cette douleur, de ces affres,
03:41 ou de ce déboire.
03:44 Et pourtant, vous écrivez à l'imparfait.
03:47 – Oui.
03:48 – Ça, c'est assez malin, ça. Pourquoi ?
03:49 – C'est malin. Je ne sais pas. Je ne dirais pas que c'est malin.
03:54 Mais en fait, effectivement, c'est très important.
03:57 – Pourquoi c'est si important ?
03:58 – C'est très important.
03:59 Et ce n'est pas parce que ça serait plus littéraire.
04:01 C'est parce que tout simplement, si vous voulez,
04:07 l'imparfait est un temps qui est extrêmement intéressant
04:11 parce que c'est un temps…
04:12 – Qui introduit la mélancolie ou la nostalgie.
04:15 – Non. C'est un temps…
04:16 – Irréversible.
04:17 – C'est un temps qui tient compte de nous.
04:20 C'est-à-dire, c'est un temps qui tient compte de ce que nous sommes.
04:24 C'est-à-dire, nous avons l'ambition de nous déployer
04:31 un peu plus que sur le réflexe immédiat.
04:35 Et nous savons très bien que dans le temps de l'immédiat
04:39 et du présent, ce qui nous préoccupe, c'est "est-ce que ça va durer ?"
04:45 Et "depuis combien de temps c'est là ?"
04:48 Et ce qui nous préoccupe dans le présent, c'est l'épaisseur de cette histoire-là.
04:54 Et ça, évidemment, c'est la richesse de l'imparfait.
04:57 Il porte très bien son nom, l'imparfait.
05:00 C'est-à-dire qu'il est imparfait, c'est-à-dire qu'on ne sait pas
05:03 ce que c'est que ce temps.
05:05 Ce temps est encore présent.
05:07 Et c'est un temps magnifique parce que c'est un temps qu'on touche.
05:11 Ce n'est pas un temps qu'on dit, c'est un temps qui est comme une étoffe.
05:14 C'est un temps sensuel.
05:16 – Pourquoi parlez-vous toujours d'écriture plutôt que de littérature ?
05:21 Par pudeur ou vous parlez d'écriture tout le temps ?
05:24 – Parce que l'écriture, c'est l'activité.
05:27 C'est la chose qui est active, c'est la chose qui est en train de se faire.
05:30 La littérature, c'est une bibliothèque.
05:39 Donc ça, c'est une chose qui se nomme a posteriori.
05:44 L'écriture, c'est le quotidien, c'est la vie.
05:47 – C'est l'acte d'œuvre.
05:48 – Bien sûr, et quand vous disiez "cet amour qui n'a pour espace que l'écriture",
05:52 si vous voulez, moi, le fait qu'on puisse réduire et dire "que l'écriture",
05:56 il y a cette fameuse phrase qui est un acte.
05:58 – C'est le contraire de quelque chose de réducteur.
06:01 Le fait que ça ne soit qu'un livre, c'est le contraire d'une réduction.
06:04 – Voilà, et une des phrases clés du livre, c'est quand l'acteur me dit
06:08 "mais moi, l'écriture, c'est quelque chose qui peut me remplir une vie".
06:11 – Alors, Christine, on vous adore ou on vous déteste,
06:14 enfin, vous faites tout pour cela, il faut bien dire.
06:16 – Non, je ne fais rien, je ne fais que écrire.
06:18 – Un peu, un peu, passons.
06:19 Une rumeur de scandale ou de provocation, disons, vous environne.
06:23 Mais on dirait que chez vous, le fait d'être écrivain,
06:25 c'est ça qui m'importe, on dirait que chez vous,
06:27 le fait d'être écrivain ne se sépare pas d'une sorte de zèle
06:31 ou de paranoïa sacré, c'est-à-dire comme si vous vous sentiez menacée
06:36 dans ce qui vous est peut-être le plus cher, précisément l'écriture,
06:39 dans ce que vous placez peut-être au-dessus de tout,
06:42 peut-être avec votre fille, vous avez une fille qui est présente dans le livre.
06:45 – Oui, mais qu'elle ne me fait pas peur, à la différence de l'écriture.
06:48 – Vous vous sentez menacée. – Oui, oui, bien sûr.
06:51 – D'où ce côté un peu paranoïaque, paranoïde, on va dire.
06:56 – Je pense, je ne parlerai pas de paranoïa, je parlerai de quelque chose d'autre
07:00 qui est aussi une pathologie.
07:03 Je pense que ça a plus à voir avec une forme de masochisme,
07:08 ou de passion, comme ça, liée à la souffrance,
07:16 qu'une forme de paranoïa.
07:18 Ce n'est pas de la paranoïa, je ne crois pas, mais de fait,
07:22 j'ai énormément de bonheur, j'ai énormément de joie.
07:30 Avec l'écriture, c'est vrai que la littérature est effectivement
07:35 la chose qui me donne le plus de lumière et qui nous donne,
07:39 qui donne à notre vie plus de… c'est là qu'on comprend,
07:43 pour pointer ce que vous disiez,
07:46 et c'est une chose dont je me sens, à la fois qui me rend très heureuse,
07:49 mais dont je me sens esclave, parce que c'est une chose,
07:52 si elle veut quelque chose de moi, si elle peut me demander
07:56 ce qu'elle veut, je le ferai.
07:58 S'il faut s'allonger par terre pour elle, je le ferai.
08:01 – Est-ce qu'écrire pour vous…
08:02 – C'est pour ça que je parlais d'une forme aussi, j'ai peur, oui, j'ai peur d'elle.
08:07 – Est-ce qu'écrire, c'est donner une forme, rien qu'une forme,
08:10 et si possible, éventuellement neuve, à toute cette merde, tout ça ?
08:17 – Alors certainement pas rien qu'une forme.
08:20 C'est donner une forme et un sens.
08:24 Je reviens sur ce mot que vous avez mis en valeur au départ,
08:28 qui me paraît très important, qui est "comprendre".
08:31 Comprendre n'allant pas, évidemment, sur moi, ce que j'ai ajouté,
08:36 qui est la question du doute.
08:37 S'il n'y a pas de doute très profond, il n'y a pas de nécessité
08:40 de chercher à comprendre ce qui nous arrive, ce qui se passe,
08:44 c'est quoi la vie qu'on est en train de vivre.
08:46 – On vous traite parfois de vampire, vos anciens amants notamment,
08:50 que leur répondez-vous ?
08:52 – Est-ce que mes anciens amants, comme vous dites…
08:58 – Comme vous dites, comme vous dites.
09:00 – Je n'ai jamais dit "mes anciens amants", ce n'est pas du tout un mot à mot.
09:03 – Oui, enfin, les hommes que vous avez aimés.
09:05 – Est-ce que… je ne me souviens pas que l'un m'est traité de vampire.
09:13 Et puis, qu'est-ce que nous faisons l'un l'autre actuellement
09:19 que de nous vampiriser l'un l'autre ?
09:21 Qu'est-ce qui se passe avec les gens qui nous regardent ?
09:24 Qui vampirise qui ?
09:26 – C'est vrai, c'est vrai.
09:27 Que pensez-vous, Christine Angot ?
09:28 – C'est ça, la vie…
09:29 – Parce que j'ai plein de questions à vous poser et on va être pris par le temps.
09:31 – Allons-y, allons-y.
09:32 – Que pensez-vous, là maintenant, de ce personnage qui vit et écrit ça,
09:38 que vous appelez "Rendez-vous roman" ?
09:40 Vous, là maintenant, parce que c'est un personnage.
09:43 – Alors…
09:44 – Celle-là, là.
09:45 – Oui, ce que j'en pense, vous savez, c'est un personnage et c'est…
09:51 c'est moi en train d'écrire.
09:53 Ce personnage, c'est moi en train d'écrire.
09:55 Vous me demandez ce que j'en pense ?
09:56 – Oui.
09:57 – Mais c'est-à-dire, de quel point de vue ?
09:58 – Il y a une petite distance quand même, elle n'est plus vous maintenant.
10:00 – Elle est devenue un personnage ?
10:02 Non.
10:03 Vous coïncidez complètement, enfin, elle est encore trop près de vous.
10:05 – Non, elle n'est pas trop près.
10:07 – Elle est vous.
10:09 – Elle est moi en train d'écrire.
10:11 – Oui, non mais là maintenant, c'est un personnage de…
10:13 quand vous relisez… si vous relisez une page du livre,
10:16 ça ne peut plus être… il y a forcément un écart, c'est autre chose.
10:19 Ça vous est même étranger, non ?
10:20 – Je ne peux pas dire ce que je pense, ni de moi, ni de ce que j'ai été.
10:24 Comment je peux… je ne peux pas me juger, je ne peux pas me voir, je ne peux pas me…
10:29 – Est-ce qu'on peut dire que le sujet du roman, c'est "l'amour n'est pas aimé" ?
10:32 – Ce n'est pas très intéressant.
10:33 – Ce n'est pas très intéressant ?
10:34 – De me juger, de savoir… enfin…
10:37 – Ça dépend.
10:38 Est-ce qu'on peut dire que le sujet du roman, c'est "l'amour n'est pas aimé"
10:42 ou plutôt "les hommes sont incapables d'aimer, sont incapables d'amour,
10:46 sont incapables de rejoindre l'amour de la femme" ?
10:49 – Non, certainement pas, ça ne veut certainement pas dire ça.
10:52 – "L'amour n'est pas aimé" ?
10:53 – Non, ça ne veut pas dire ça.
10:55 Ça veut dire "l'amour est tellement aimé…"
10:58 – Que ça merde.
11:00 – Ça ne merde pas.
11:01 – On ne va pas dire que ça soit…
11:03 – Non, non, non, non, non, non, non.
11:05 Pas du tout, ça ne merde pas.
11:07 "L'amour est tellement aimé…"
11:08 – Mais c'est une histoire ratée quand même.
11:10 Ça devait s'appeler "Rendez-vous raté", non "Rendez-vous manqué".
11:13 – Vous avez vu ça ?
11:14 – Vous le dites, vous l'écrivez.
11:15 – Je n'ai jamais dit que ça devait s'appeler "Rendez-vous manqué".
11:18 Si ça avait dû s'appeler "Rendez-vous manqué", ça serait…
11:20 – Non, mais c'est dans le livre, vous avez hésité sur le truc.
11:22 – À un moment, je pose une question, je dis "qu'est-ce que tu en penses ?
11:25 Est-ce qu'il faut l'appeler "Rendez-vous" ou "Rendez-vous manqué" ?
11:29 Ça n'a rien à voir.
11:30 Bon, et la réponse à la question est en page de titre,
11:33 puisque la page de titre, c'est "Rendez-vous".
11:35 Et donc, la question que vous me posez, c'est…
11:39 "Est-ce que l'amour n'est pas aimé ?"
11:41 Ça ne veut absolument pas dire ça.
11:42 Ça veut dire que l'amour est l'endroit privilégié de la littérature.
11:46 Et la littérature est l'endroit privilégié de l'amour
11:48 parce que l'amour est le lieu où l'on ne comprend rien.
11:51 – Pourquoi ça n'a pas marché avec Eric ?
11:52 Parce que c'était un comédien ?
11:54 Parce qu'il y a toujours un fantôme, un personnage avec lui ?
11:56 Remarquez, les auteurs, c'est pareil.
11:57 Pourquoi ça n'a pas marché avec Eric ?
11:59 Moi, je me pose la question, je vous ai lu.
12:01 – Alors moi, je vous pose une question, qu'est-ce que ça veut dire "marcher" ?
12:04 – Vous avez couché une fois avec lui, ça a duré quoi, un an ?
12:07 C'était douloureux, cette affaire-là, non ?
12:10 – Ça, ça veut dire que…
12:11 Pour vous, ça, ça veut dire "ça ne marche pas".
12:13 – Non, je vous pose la question.
12:14 – Alors pour les gens, qu'est-ce que ça veut dire "marcher" ?
12:16 Ça veut dire "partir en week-end à Deauville".
12:20 – Oui, oui.
12:21 – Ah bon, très bien.
12:22 – Faire l'amour souvent, faire l'amour souvent.
12:24 – C'est ça, ça veut dire "marcher" ?
12:25 – C'est mieux que le faire qu'une fois, par contre.
12:27 – Ah oui, mais écoutez, quelques fois, ne pas marcher
12:30 est quand même beaucoup plus intéressant que marcher,
12:33 et beaucoup plus difficile.
12:34 – Merci, Christine Angot, je vous adore.
12:36 [Rires]
12:37 Alors, bon, il est temps de rejoindre Yasmina Khadra,
12:42 entourée aujourd'hui de Delphine Perras du magazine Lire
12:45 et de Géraldine Mühlmann.
12:46 Alors, comment, pourquoi devient-on, comment dire,
12:50 djihadiste, kamikaze, terroriste ?
12:53 Pourquoi l'Orient et l'Occident sont…

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