Second tour en Turquie : Erdogan part grand favori

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00:00 Et on va donc tirer d'autres enseignements avec notre invité Samim Akgonoul.
00:02 Bonjour, vous êtes directeur du département d'études turcs de l'université de Strasbourg.
00:07 Votre dernier livre, "La Turquie, Nouvelles et les Franco-Turcs, une interdépendance complexe",
00:11 c'est paru aux éditions de l'Armattan en 2020, je crois.
00:15 On a relié beaucoup de sondages sur France 24, des sondages turcs qui donnaient à la fin de la campagne
00:21 le candidat de l'opposition, Kilic Daroglu, vainqueur dès le premier tour.
00:25 Est-ce que ces résultats-là vous étonnent ?
00:29 Alors, il y avait des sondages très contradictoires.
00:32 Donc ces sondages exprimaient plus une volonté peut-être des sondeurs que la réalité sur le terrain.
00:37 Ce qui est étonnant, c'est qu'il est vrai qu'il y avait plusieurs facteurs pour l'espoir d'alternance.
00:43 Premièrement, l'usure de pouvoir.
00:44 Ça fait 21 ans que Erdogan est au pouvoir et en face de lui, il y avait une coalition très large
00:49 qui rétablissait très très large de six parties, en plus soutenue indirectement par les pro-kurdes et la gauche radicale.
00:56 Ensuite, il y a eu depuis deux ans une crise économique et l'appauvrissement général de la nation
01:01 avec une hyperinflation entre 50 et 100% et enfin une raison conjoncturelle, le tremblement de terre.
01:07 50 000 morts, plus de 3 millions déplacés.
01:10 Donc tout ceci avait créé cette atmosphère de la possibilité d'une alternance.
01:15 Mais on voit bien que la base électorale reste solide, mais la campagne électorale a été très injuste également,
01:22 où l'appareil d'État entièrement était consacré à la propagande du parti, enfin de l'alliance du régime en place.
01:30 Et ensuite, maintenant, pour la première fois dans l'histoire de la Turquie, un entre-deux-tours.
01:34 Un second tour donc qui se dessine, ça c'est inédit. L'opposition a au moins réussi ça.
01:39 Ah oui, bien sûr que ça, de ce point de vue, c'est une réussite.
01:41 Effectivement, Katimini, ce n'est pas une grande réussite, mais c'est une réussite pour la première fois.
01:46 Le Djeb Taïperdouane est mis en demi-échec, puisqu'il va devoir qu'il se représente devant les électeurs.
01:53 Ceci étant dit, son atout principal, c'est qu'il a quand même la majorité absolue à l'Assemblée,
02:00 puisqu'il y avait eu un seul tour à la majorité, les élections législatives.
02:06 Donc comme il domine maintenant le Parlement, l'Assemblée nationale,
02:11 il peut utiliser cet argument pour éviter une cohabitation.
02:14 Vous parliez des tremblements de terre, puisqu'il y a eu un tremblement de terre majeur,
02:19 puis plusieurs répliques dans le sud de la Turquie au mois de février.
02:24 On a entendu beaucoup la colère de la population qui fustigeait le manque de moyens,
02:29 la lenteur des équipes de secours.
02:31 Ça, ça n'a pas pesé finalement, puisque quand on voit dans le détail,
02:35 dans ces régions sinistrées, la KP résiste.
02:37 Effectivement, ça c'est une surprise, mais ça montre également qu'un discours clivant
02:43 marche mieux qu'un discours rassembleur, dans le cas turc.
02:46 Le slogan principal de l'Egypte à Hyperdome durant cette campagne, c'était "Ceux-là".
02:50 "Ceux-là sont des terroristes, ceux-là sont des séparatistes,
02:53 ceux-là sont des homosexuels, LGBT, etc."
02:55 - Il englobe tout le monde ? - Tout le monde qui était dans l'opposition.
02:59 Donc ça, ça a marché.
03:01 Et deuxième enseignement, c'est que la population turque vote encore avec des tripes
03:05 sur des questions identitaires, et non pas sur des questions rationnelles
03:08 comme la crise économique ou le trône montaire.
03:13 Et enfin, dans les zones sinistrées, il peut y avoir cette impression
03:17 que celui qui a causé ce désastre, c'est l'Egypte à Hyperdome,
03:21 mais également il est le seul à pouvoir réparer ceci,
03:25 puisqu'il a cette force d'homme fort.
03:28 Donc tous ceux-ci font que, même dans les zones sinistrées,
03:30 effectivement, l'Egypte à Hyperdome a fait des bons secours.
03:33 - Il y a la question un peu de la stabilité finalement de cet homme
03:36 que les Turcs connaissent bien et qui leur donne encore...
03:39 - Cette stabilité et ce discours permanent qu'après moi le déluge.
03:43 Autrement dit, il y a cette impression dans la lecture à Turc que l'Egypte à Hyperdome,
03:48 qui est là depuis plus de 20 ans maintenant,
03:50 est tellement associée à l'existence de l'État
03:53 que son déboulonnement sera l'équivalent d'une déconstruction de l'État également.
03:58 Donc ce nationalisme est un nationalisme de l'État, protection de l'État.
04:02 - Est-ce que la question religieuse à poser,
04:05 est-ce que les musulmans ultra-conservateurs ou conservateurs
04:08 ont été gênés par la lévisme revendiquée par Kéril Daroglu ?
04:13 - Peut-être. Il a crevé l'abcès en faisant son coming out lui-même.
04:16 Il a crevé cet abcès-là.
04:18 Ceci étant dit, l'alliance construite par le pouvoir actuel
04:21 n'a jamais été aussi à droite religieusement parlant.
04:25 Effectivement, quand l'Egypte à Hyperdome est arrivée au pouvoir entre 2002 et 2010,
04:29 on va dire, il y avait cet islam libéral, les conservateurs, etc.
04:33 Mais depuis l'autoritarisation du régime et enfin, pour ces dernières élections,
04:37 une alliance avec les fondamentalistes.
04:39 Deux partis très fondamentalistes qui font partie de cette alliance du pouvoir.
04:44 De ce point de vue, effectivement, le religieux a pesé,
04:47 mais dans ce cas-là, a pesé pour l'islam fondamental.
04:51 Peut-être en partie contre la lévisme également.
04:53 - Et donc pour Erdogan, les gagnants de la soirée,
04:56 est-ce que ce sont ces ultra-nationalistes,
04:59 le MHP, le parti d'extrême droite qui fait le plein au parlement turc,
05:03 le candidat, on en parlait, Sinan Ogan, troisième homme de la présidentielle
05:08 avec 5,3% des suffrages.
05:11 Comment on explique cette percée-là ?
05:13 - Effectivement, le nationalisme a le vent en poupe.
05:16 Pas seulement d'ailleurs dans la coalition gagnante,
05:19 mais également dans la coalition d'opposition.
05:21 Aussi, le parti YParty est une dissidence,
05:25 c'est une scission du parti nationaliste qui est en alliance avec Erdogan,
05:30 plus Sinan Ogan que vous venez de mentionner.
05:33 Donc l'ultra-nationalisme, l'extrême droite,
05:36 se retrouve dans les trois camps,
05:38 même si YParty s'est recentré pour ces élections à cause de ses alliés.
05:43 Donc de ce point de vue, oui, on peut dire que le nationalisme est gagnant.
05:46 - Le candidat Sinan Ogan a développé une thèse,
05:51 il voulait le départ de tous les Syriens.
05:53 Il sont 3,6 millions de Syriens à vivre en Turquie.
05:56 Est-ce que cette question-là a pesé dans l'élection ?
05:59 - Alors pas tellement Sinan Ogan.
06:01 Curieusement, il n'a pas fait lui-même la campagne dessus,
06:04 il a été très silencieux.
06:05 Mais le fondateur de son parti,
06:07 donc Ymit Odan, qui a fait toute sa carrière sur cette question,
06:14 avait au départ mis l'ensemble de la voix avec une politique,
06:19 avec un discours de haine extraordinaire.
06:22 Nous avons l'habitude de ce genre d'arguments en Europe occidentale.
06:25 Voici les Arabes qui viennent piquer notre travail,
06:29 violer nos femmes, ils ne s'intègrent pas,
06:31 ils ne s'adaptent pas à notre culture.
06:32 Il faut leur départ.
06:33 Vous voulez avancer les 3,6 ?
06:35 Peut-être le double, dans la mesure où il y a à peu près 2 millions
06:39 qui sont nés sur le sol turc,
06:41 et y compris l'élite turque était contre leur présence.
06:45 Donc Sinan Ogan a fait le plein de ses voix,
06:48 plus un quatrième candidat qui a été éjecté de son siège
06:51 par une cassette vidéo fumeuse pornographique,
06:55 plus léniniste, ni Kovachdarouli ni Erdogan,
06:59 il fait 5,3%.
07:01 Donc il va négocier durement maintenant ses voix.
07:04 Et c'est l'unique réserve de voix ?
07:06 C'est l'unique réserve de voix, puisque...
07:07 Mais il pèse davantage vers Erdogan ou pas ?
07:10 Je ne sais pas, non, non.
07:12 Normalement le discours de Syrien aurait dû être contre le régime en place,
07:16 parce que le régime en place est accusé d'avoir permis l'entrée.
07:20 Mais il n'y a pas eu cette confrontation frontale avec Erdogan,
07:24 justement pour pouvoir négocier.
07:25 Autrement dit, maintenant, il a dit d'ailleurs,
07:28 il a dit ça entre deux phrases,
07:30 qu'il allait se pencher vers le parti qui allait donner le plus de pouvoir.
07:35 Je ne sais pas moi, un poste ministériel peut-être,
07:38 donc il va négocier durement.
07:40 Donc les jeux sont ouverts pour le second tour ou pas ?
07:43 Alors les jeux sont ouverts, bien sûr.
07:44 Quand il y a un second tour, il peut y avoir tout,
07:46 en plus la politique turque a plein de surprises.
07:49 Ceci étant dit, la majorité absolue dans l'Assemblée nationale
07:53 est un atout quand même important pour le pouvoir,
07:56 dans la mesure où quand Recep Tayyip Erdogan était venu au pouvoir,
07:59 son véritable discours était que vous regardez,
08:02 les coalitions gouvernementales ont causé toutes ces crises-là,
08:06 mieux vaut avoir un régime stable.
08:08 Maintenant, il va utiliser certainement le même argument
08:11 pour fustiger la cohabitation, la possible cohabitation
08:14 en cas de victoire de l'opposition de Kholchdarov.
08:18 Et peut-être qu'il soit entendu par l'électorat.
08:21 Je reviens sur les estimations et peut-être aussi, disons-le,
08:23 les espoirs des Occidentaux, peut-être des Européens.
08:27 Le candidat de l'opposition avait clairement les faveurs de l'Europe,
08:30 même si ce n'a pas été dit.
08:32 Est-ce qu'on a un regard biaisé sur la Turquie ?
08:36 Est-ce qu'on n'a pas les bonnes façons de regarder le pays ?
08:39 La réponse est oui, bien entendu.
08:41 Ceci étant dit, le soutien de l'Occident,
08:42 vous l'avez bien dit, à Kholchdarov, a été très silencieux.
08:46 A été vraiment très, très silencieux.
08:47 Et là aussi, il y a quand même un double jeu.
08:50 Est-ce que l'Occident est prêt, par exemple,
08:52 à ce qu'il y ait une alternance en Turquie ?
08:54 Est-ce que le nouveau pouvoir ouvre les portes de la Turquie
08:57 pour faire passer l'ensemble de ses réfugiés syriens et afghans
09:00 vers l'Europe ? C'est 7 millions.
09:02 Est-ce que vous seriez d'accord ?
09:03 Il y a eu cet accord unique avec la Turquie,
09:06 avec l'Egypte, à Yperdoğan en 2017.
09:09 Par Angela Merkel ?
09:10 Voilà, voilà. Par l'Union européenne.
09:12 En tout cas, ça a été enclenché entre Erdogan et Merkel,
09:14 puis c'est imposé aux dirigeants européens.
09:16 Lire les conditions de cet accord,
09:18 c'est contraire à l'ensemble des principes
09:20 qui font l'Union européenne et le Conseil de l'Europe,
09:22 passons les droits de l'homme.
09:24 Et donc, effectivement, à mon avis,
09:26 en Europe également, dans la chancellerie,
09:28 il y avait cette hésitation de voir une alternance,
09:31 une véritable alternance, qui mettra en cause
09:34 cette relation un peu ambiguë avec le régime de l'Egypte à Yperdoğan.
09:38 Parce que, n'oubliez pas que les chancelleries
09:41 traitent directement avec le palais,
09:43 alors qu'avec un régime plus horizontal,
09:45 il va falloir jouer plus de cartes.
09:47 Une dernière question, peut-être un peu plus personnelle,
09:49 le taux de participation, estimé à 88%,
09:53 les Turcs avaient envie de voter,
09:55 ils se sont vraiment mobilisés, cette fois-ci,
09:57 plus que les autres fois ?
09:58 Un peu plus que les autres fois,
10:00 mais en général, les Turcs ont bien intégré,
10:02 intériorisé le vote, donc ils votent.
10:04 La démocratie élective marche pas tellement
10:07 pour la démocratie participative,
10:08 mais ça montre autre chose également.
10:10 C'est que les gens votent de peur de voir les autres,
10:13 les adversaires, vous pouvez dire,
10:14 ça montre également le clivage de la société turque.
10:17 C'est le cas pour tout le monde finalement.
10:19 Merci beaucoup Samim Agonul,
10:21 je rappelle le dernier ouvrage que vous avez sorti,
10:24 "La Turquie nouvelle et les Franco-Turcs,
10:25 une interdépendance complexe",
10:27 j'ai l'air m'attendre, merci encore.

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