État d’urgence : comment l’Italie durcit-elle sa politique migratoire ?

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00:00 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:03 La question du jour.
00:04 Mardi dernier en Italie, la Première ministre Germeloni a décrété l'état d'urgence migratoire.
00:09 Cette décision intervient quelques semaines seulement après le drame d'un naufrage de migrants
00:14 au large des côtes de Cutro, affichant un bilan de 86 morts.
00:18 Le gouvernement, dont les positions anti-migrants ne trompent personne,
00:21 avait alors été pointé du doigt, d'autant que le secours aux migrants n'a pas été jugé à la hauteur.
00:27 Qu'autorise cet état d'urgence à l'heure où l'Italie est scrutée par les instances internationales
00:32 pour sa gestion humanitaire de la crise migratoire ?
00:36 Bonjour, Lulmila Akone.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes historienne spécialiste de l'Italie.
00:41 Alors, il faut tout d'abord nous dire ce que signifie cet état d'urgence migratoire.
00:46 Alors, cet état d'urgence migratoire, décrété pour six mois, prévoit une série de mesures.
00:52 Et déjà, il y a bataille qui est prévue au niveau du Parlement,
00:56 parce qu'après le décret, il va y avoir une lecture au Parlement, une discussion.
01:00 Ce sont des mesures extrêmement dures, notamment sur l'accueil et sur les quotas d'accès aux migrants.
01:07 Mais ce qui fait le plus polémique, c'est en fait la suppression de ce qu'on appelle la permission spéciale
01:14 qui avait été introduite en 2020 pour secourir et pour empêcher l'expulsion de migrants
01:20 qui étaient en grave condition de santé psychophysique.
01:24 Donc, cette permission spéciale abrogée, ce qui suscite la contestation de beaucoup de personnes,
01:35 et notamment de la Conférence épiscopale italienne, qui, pour des raisons y compris humanitaires, s'inquiète.
01:42 Et voilà, il y a cette polémique autour de l'état d'urgence.
01:46 Le ministre Pianté-Dosia lui-même a répondu à la CEI, la Commission épiscopale italienne,
01:53 en disant que finalement, cet état d'urgence n'est qu'un terme technique pour permettre de faire au plus vite et mieux selon lui.
02:04 Dans quelle mesure la politique de Giorgia Melloni marque-t-elle une inflexion par rapport à ce qui était jadis utilisé en matière de politique migratoire en Italie ?
02:16 - C'est bien inflexion. En fait, il s'agit, selon notamment l'opposition, d'un retour au décret Salvini, aux mesures de Salvini très très dures.
02:26 - C'est-à-dire ? Quelles étaient ces mesures ?
02:30 - Ces mesures qui veulent bloquer toute forme d'immigration, y compris humanitaire, et considérer les migrations comme quelque chose de presque délinquant.
02:46 C'est-à-dire que considérer les migrants a priori comme des délinquants qui viennent exploiter les aides sociales et le territoire italien.
02:54 Donc il y a une criminalisation quand même qui a été mise en place par Salvini.
02:58 À l'heure actuelle, les mesures qui sont actuellement prévues par ce décret et par la discussion qui va être au Parlement, ce sont des mesures qui accablent les migrants comme étant effectivement un problème.
03:12 Et ça fait suite aussi aux polémiques contre Piantedos et le ministère de l'Intérieur du fait de la gestion justement de la question de Coutre et de ces paroles qui ont fustigé les parents qui auraient laissé des enfants émigrés.
03:29 - Les flux migratoires qui ont été alimentés par la crise tunisienne sont cette année particulièrement élevée en Italie, ce qui est évoqué par le gouvernement de Giorgia Melloni.
03:41 On parle de la situation par exemple avec celle qui prévalait depuis 2011, puisque depuis 2011 l'état d'urgence migratoire n'avait pas été décrété.
03:51 Qu'est-ce que l'on peut dire à cet égard, Lumila Koun ?
03:54 - Eh bien, il y a des débarquements de migrants périodiques en Italie selon les urgences effectivement qui concernent les pays limitrophes, notamment par rapport aux guerres.
04:08 Mais c'est quelque chose qui est fluctuant. Il y a des moments de pique, il y a des moments où effectivement la pression se relâche.
04:15 C'est vrai aussi que nous sommes dans une saison où les navigations sont plus aisées que par exemple pendant l'hiver.
04:22 Mais ces migrations, cela fait très longtemps qu'en Italie il y a ce genre de débarquement.
04:30 La situation actuelle peut-être, et le maître Piantedosi lui-même dit qu'il n'y a pas en réalité une véritable urgence, dit-il.
04:38 Il s'agit d'une volonté de faire passer des mesures très très rapides.
04:44 Donc la question au contraire qu'il faudrait se poser c'est la question de l'accueil.
04:49 Comment est-ce que l'accueil des immigrants est géré ?
04:51 La situation des centres de retention, parce qu'il y a des centres de retention où les conditions sont extrêmement inhumaines.
04:58 Et il y a eu le naufrage de Coutreau que l'on a évoqué.
05:01 Et là, la responsabilité du gouvernement de Giorgia Meloni a été engagée. Expliquez-nous pourquoi Ludmilla ?
05:07 Oui parce que nous savons que plusieurs heures de battements entre le naufrage et les secours ont été enregistrées, ont été vérifiées.
05:18 Et le gouvernement avait déjà pris des dispositions contre les ONG.
05:25 Comme si les ONG étaient assimilées en fait aux passeurs.
05:30 Et qu'il fallait, disons, empêcher quelque part le secours en mer.
05:36 Ou en tout cas l'entraver par rapport à ce qui est prévu par les lois de la mer et par les lois humanitaires.
05:42 Donc il y a effectivement cette responsabilité. Est-ce qu'il y a eu une forme de "mea culpa" ?
05:48 Pas du tout. Au contraire. C'est justement à la suite de ces critiques que les dispositions actuelles se sont accélérées.
05:57 Elles étaient déjà prévues. Et elles marquent, comme tout le monde le reconnaît, un retour de l'initiative de la Ligue par rapport aux migrations.
06:09 Il a été dit que certaines de ces mesures pouvaient être considérées comme anti-constitutionnelles ?
06:13 C'est une question à discuter. Il y a d'abord eu des remarques de la part du président de la République, qui est le garant de la Constitution,
06:19 notamment sur cette question du permis spécial, qui est humanitaire.
06:23 Et donc le président de la République s'est exprimé à ce sujet.
06:28 Et comme je le disais tout à l'heure, aussi la conférence épiscopale italienne, l'opposition du PD, parti démocrate, de Helle Ischlein notamment, a mené bataille.
06:39 Et quatre gouverneurs et six grands maires d'Italie ont décidé de s'opposer aux mesures qui sont proposées actuellement.
06:48 Et puis alors il y a aussi le fait que le gouvernement Meloni explique que l'Europe ne prend pas sa part ou qu'il y a une situation d'isolement de l'Italie face à ce flux migratoire.
07:00 Oui, il y a une responsabilité collective à prendre au niveau de toute l'Europe. Cela ne fait pas de doute.
07:08 On ne peut pas non plus ne pas remarquer qu'à l'heure actuelle, il y a un juridicissement qui a comme objectif un usage politique de cette question de la migration
07:18 et une volonté un peu de criminaliser cet arrivage de personnes qui sont en très grande détresse sans essayer de créer une situation meilleure dans les conditions d'hébergement.
07:32 Juste en conclusion, Ludmilla Kohn, est-ce que l'on peut dire que le gouvernement Meloni est un mouvement qui ne marque pas de rupture véritable avec les politiques passées
07:44 ou bien s'agit-il effectivement d'un gouvernement d'extrême droite menant une politique d'extrême droite ?
07:50 Eh bien, c'est un gouvernement où la question humanitaire sur cette question-là n'est pas évoquée. La migration, c'est un problème et des quotas selon les métiers vont être introduits.
08:05 Ce qui est clair, c'est que la question de la migration en général n'est pas traitée sous l'angle de tous ces aspects.
08:14 C'est un retour au décret Salvini comme tout le monde le fait remarquer. C'est une question qui va être à l'origine d'une bataille parlementaire et dans le pays.
08:30 Certains ont remarqué que finalement cela va aggraver l'immigration illégale alors qu'elle prétend justement la contrer.
08:39 Merci Ludmila Acon, je rappelle que vous êtes historienne, spécialiste de l'Italie et chercheuse associée à Paris 1.

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