Témoignage n° 11, lu par Thierry Fremont

  • il y a 9 ans
Attention ce témoignage parle de violences sexuelles, il peut heurter la sensibilité de certains spectateurs.

Lecteur :
Thierry Frémont

Réalisation : Catherine Zavlav et Cécile Nicouleaud
Image : Vincent Tulli
Assistante mise en scène : Sandra Moreno
Montage : Cécile Nicouleaud
Musique : Malik Ati
Mixage : VTP
Maquillage Marine Girondeau
Photos : Jérôme Godgrand
Photo : Tanya Artioli
Infographie : Christine Bruneteau
Etalonnage Cécile Nicouleaud

texte du témoignage :
Témoignage n°11, lu par Thierry Frémont

« J’avais seize ans, ils étaient quatre, je crois.
Il ne me reste que deux images d’eux au-dessus de moi, et le sentiment d’un immense dégoût quand je me suis réveillée d’un sommeil de plusieurs heures.
Coma, amnésie, je ne sais.

J’ai eu très vite envie de m’arracher le ventre, et puis j’ai été enceinte, et on m’a arraché le ventre pour de vrai.

Puis il a fallu vivre avec ça, avec ces questions lancinantes : que s’était-il passé ? L’avais-je cherché ? Avais-je été provocante ? Y avais-je pris du plaisir, peut-être ? Est-ce que j’étais une salope? Qui étais-je, à vrai dire ?

Il a fallu vivre dans le silence de la famille, des amis, des médecins, des assistantes sociales, et même des psys.

A tous je le disais, et tous m’opposaient le même mur de doute et d’incompréhension. Solitude, sentiment de ne plus faire partie du monde des humains, d’être en suspens, tellement différente...

Il a fallu apprendre à avoir l’air d’être normale, essayer d’arrêter d’être angoissée, hypersensible, excessive, trop compliquée, buvant et fumant trop, trop dure et se plaignant toujours trop ; et de n’être pas assez équilibrée, pas assez sereine, pas assez battante et sûre de soi, pas assez forte.
Une guerre de tous les instants contre soi-même.

Tout cela a duré plus de 30 ans ; un silence étouffant, une chape de plomb imposée parce que cela dérange trop. « N’en parle pas à ton père, cela lui ferait trop de mal » ; « n’en parle pas à ton amoureux, cela le ferait fuir » ; « n’en parle pas à ton médecin, cela ne le regarde pas ; on ne dévoile pas comme ça sa vie « intime » à un inconnu » . Bref, surtout, tais-toi et oublie, passe à autre chose, regarde devant ; arrête de ruminer, de cauchemarder, de couper les cheveux en quatre, de te poser en victime. Arrête d’être toi.

Aujourd’hui enfin, j’ose regarder le mal en face, tous ces démons dont les têtes repoussent au fur et à mesure qu’on les coupe.
Travail de Sisyphe.
Mais petit à petit, avec de l’aide, on parvient à couper plus de têtes qu’il n’en repousse, et le mal tout doucement s’éloigne. Il devient presque compréhensible, alors qu’il n’était que chaos. On se découvre autre, et soi-même pourtant, luttant pour abandonner en chemin les scories encombrantes de son passé, et pour retrouver le fil d’une vie qui a été à un moment brutalement interrompu.

Et on se reprend à espérer. »

Recommandée