Témoignage N° 19, lu par Luc Barruet

  • il y a 9 ans
Attention ce témoignage parle de violences sexuelles, il peut heurter la sensibilité de certains spectateurs.

Lecteur :
Luc Barruet

Réalisation : Catherine Zavlav et Cécile Nicouleaud
Image : Vincent Tulli
Assistante mise en scène : Sandra Moreno
Montage : Cécile Nicouleaud et Louis Beaugé de La Roque
Musique : Malik Ati
Mixage : VTP
Maquillage Marine Girondeau
Photos : Jérôme Godgrand
Régie : Tanya Artioli
Infographie : Christine Bruneteau
Etalonnage Yann Tribolle

Texte du témoignage:
Témoignage n° 19, lu par Luc Barruet

"J’étais une jeune femme de 24 ans. J’ai été arrêtée en août 80 sans qu’on me fournisse de raison. Pas de jugement. Prison centrale de Kinshasa, pavillon des femmes.
Je suis restée un an en prison, et la vraie raison était purement politique, pour mon appartenance au groupe des treize parlementaires.

Au jour du premier interrogatoire, tout bascule. Les conseillers de Mobutu voulaient savoir ce que je savais. Rien. Ce que j’avais vu. Rien. Ce n’est pas difficile de leur répondre.

Trois jours plus tard, on me dit que le Président Fondateur va m’interroger. Je pensais connaître Mobutu depuis si longtemps, qu’il aurait pour moi, une oreille peut-être plus attentive.
Si ses conseillers avaient tourné autour du pot, Mobutu alla droit au but.
Il tenta la douceur. Mais je ne peux pas mentir, cela ne fait pas partie de mon éducation.

J’ai été interrogée tout le mois de septembre. J’ai du mal à y penser, du mal à me souvenir. J’ai mal à ma mémoire, mal dans mon corps… Ça se passe au Palais de Marbre de Mobutu. C’est lui qui reçoit, mais ce n’est plus le même. C’est une bête brute. Une femme a osé lui résister, c’est en tant que femme qu’elle doit le payer.
“Couche-toi là. Tout ce que tu demanderas maintenant, tu l’obtiendras avec ton corps.”

Je me suis débattue. De toutes mes forces. Il y a un mot pour ça : le viol. Mais c’est un mot froid, qui ne dit pas le corps volé. Il ne dit pas la part de mort dans le corps vivant.

On vit désormais avec une bombe à retardement sous la peau, et cette bombe, on ne peut pas l’extraire. On vit avec un sexe dont on voudrait se séparer et que l’on porte en soi comme une excroissance morte. Ça a eu lieu quand les mains ont fait ce qu’elles ne devraient jamais faire à un corps de femme, la division, le dédoublement. On est cette chose qui subit et qui n’est pas soi, dont on refuse que ce soit soi. Et en même temps, on est cette personne réfugiée au plus lointain de là, et qui observe, et qui refuse, et qui travaille à préserver sa part intacte, malgré tout, contre tout.

On n’oublie pas. On ne se reconstruit pas. Au mieux, on intègre et on fait avec.

La fois suivante, j’étais ligotée, objet inerte, offerte.

Je n’ai demandé qu’une chose, là, en larmes, c’était de me laver. Il l’a refusé. Je devais rester sale et humiliée.

A partir de ce moment-là, je suis devenue la chose de ses conseillers et des médecins. On venait dans ma chambre à minuit et on me ramenait vers cinq heures.
Ce n’était même pas un plaisir pour eux, mais un devoir politique.
Le viol était une stratégie politique.

Tous les gens qui ont obéi à l’injonction de viol étaient liés au pouvoir: les directeurs, conseillers... jusqu’au médecin de la prison.

Le viol pour avoir droit aux soins. Le viol pour avoir droit aux médicaments. A la fin ce médecin pensait même que nous avions lié une vraie relation. J’ai perdu trois enfants. Alors pour résister, j’ai utilisé les armes que j’avais, mon intelligence et ma sagesse ancestrale.

Face à la pression internationale, Mobutu a dû me libérer. Je me suis cachée, restant clandestine dans mon propre pays pendant 10 ans. J’ai fui en France, où j’ai demandé l’asile politique en 1990. Mais je n’ai jamais oublié. Et aujourd’hui je tente de vivre."

Je suis Luc Barruet, directeur fondateur de Solidarité Sida,
Continuons à nous battre pour défendre nos valeurs.
Je soutiens la campagne STOP AU DENI.

extrait de STOP AU DENI - LES SANS VOIX

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