Emanation d'un nuage toxique [ARIA 55340]

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00:00 Les incidents ou accidents industriels sont toujours le résultat d'une combinaison de
00:19 défaillances.
00:20 C'est en analysant en profondeur ces événements que l'on peut diagnostiquer, puis corriger
00:25 les dysfonctionnements organisationnels, humains et techniques à l'origine de ces situations
00:30 redoutées.
00:31 Nous vous proposons de découvrir l'enchaînement ayant conduit à un rejet de dioxyde d'azote.
00:35 L'étude de cet accident nous permet de présenter 4 axes de progrès.
00:38 Tout d'abord, la gestion des compétences rares, puis l'adéquation des formations,
00:43 habilitations aux missions spécifiques.
00:45 Enfin, l'ergonomie des postes de travail et la qualité des consignes et procédures.
00:50 Implanté à l'origine dans un secteur rural, l'usine agroalimentaire où s'est déroulé
01:00 l'événement se retrouve désormais dans un secteur très urbanisé.
01:04 L'établissement relève du régime de l'enregistrement, notamment pour des activités de cuisson,
01:09 transformation et broyage.
01:10 Le site se compose de plusieurs ateliers de fabrication, d'une station d'épuration
01:15 interne et de bâtiments de conditionnement et d'entreposage.
01:18 L'unité impliquée est la station de nettoyage de l'unité de production, située hors zone
01:24 de fabrication.
01:25 Elle comprend notamment un local fermé contenant des grands récipients vrac d'acide nitrique
01:30 appelé GRV et une zone attenante extérieure avec une cuve de 2500 litres d'acide nitrique
01:36 et une cuve de 5000 litres de soude.
01:38 Le nettoyage d'une unité de production, réalisé ici avec de l'acide nitrique, est
01:42 essentiel pour garantir la sécurité alimentaire.
01:44 L'utilisation d'acide nitrique est un standard de nettoyage pour l'industrie agroalimentaire.
01:49 Il n'y a pas de risque de contact entre ces acides et les produits alimentaires.
01:52 La cuve concernée est située à l'extérieur des bâtiments.
01:56 Afin d'éviter des ruptures de fabrication, l'exploitant veille à ce que ces cuves
02:00 soient remplies à minima de 1000 litres, ce qui correspond à sa consommation mensuelle.
02:04 Comme pour les autres acides utilisés sur site, les GRV sont commandés via un logiciel
02:08 de référencement des produits et fournisseurs.
02:10 Ils sont ensuite transférés par pompage du GRV vers la cuve de stockage.
02:15 Avant de s'intéresser au déroulé accidentel de l'événement, voyons qui en a été
02:23 les principaux acteurs.
02:24 Le magasinier, chargé en situation normale d'effectuer les commandes d'acide, puis
02:29 leur transfert dans les cuves.
02:30 Un apprenti du service exploitation, jeune et non encore formé à tous les rouages du
02:36 poste.
02:37 Deux techniciens du service maintenance, l'un sur site, l'autre en télétravail
02:41 durant l'événement.
02:42 Ensuite viendront les différents acteurs externes à l'entreprise, qui ont été
02:47 sollicités durant la gestion de crise.
02:48 Que s'est-il alors produit ? La séquence accidentelle qui nous concerne se déroule
02:54 alors que le pays est confronté à sa première période de confinement liée à la pandémie
02:57 de Covid-19.
02:58 Le magasinier, en charge des commandes d'acide pour les opérations de nettoyage, est en
03:03 arrêt de travail.
03:04 Ses missions sont alors reportées sur un collègue technicien de maintenance.
03:08 Lors d'une ronde, un apprenti du service exploitation constate que la cuve d'acide
03:12 nitrique est remplie à moitié.
03:13 Il décide alors de demander à ce technicien de maintenance, en télétravail ce jour-là,
03:19 d'effectuer la commande d'acide.
03:20 Dans leurs échanges, aucun d'entre eux ne mentionne la nature de l'acide souhaité.
03:24 De plus, le technicien ne parvient pas à réaliser la commande via le logiciel qui
03:29 avait été mis à jour récemment.
03:30 Il pense qu'un seul type d'acide est utilisé sur le site.
03:34 Il décide d'appeler l'un des principaux fournisseurs, qui l'informe alors que de
03:38 l'acide sulfurique est régulièrement livré en GRV.
03:41 Ce que le technicien ignore, c'est que cet acide n'est utilisé que pour la station
03:45 d'épuration, et en aucun cas pour la station de nettoyage qui nécessite, elle, de l'acide
03:50 nitrique.
03:51 Une fois le GRV d'acide sulfurique livré, l'apprenti décide de réaliser le transfert
03:56 en début d'après-midi.
03:57 Il ne prévient pas le service sécurité, mais demande à un technicien du service maintenance,
04:02 qui n'a pas été formé au risque chimique, de l'assister dans la tâche.
04:05 L'apprenti initie le transfert du GRV d'acide sulfurique dans la cuve de stockage d'acide
04:10 nitrique.
04:11 Au bout de quelques minutes, des vapeurs blanches s'échappent de la cuve de stockage.
04:15 L'apprenti stoppe alors la pompe et questionne le technicien sur l'origine possible du
04:20 phénomène.
04:21 Le technicien évoque la chaleur extérieure comme raison de la production de fumée.
04:25 Il réenclenche la pompe.
04:27 Des fumeroles jaunes s'échappent.
04:29 Il arrête de nouveau la pompe.
04:31 Une fois les vapeurs dissipées, il la réenclenche pour la troisième fois.
04:35 C'est désormais un nuage dense orange qui s'échappe avant de se disperser.
04:39 L'apprenti et le technicien arrêtent la pompe et donnent enfin l'alerte.
04:43 100 litres d'acide sulfurique et 1250 litres d'acide nitrique sont alors mélangés dans
04:49 une même cuve, provoquant la formation d'un nuage de dioxyde d'azote.
04:54 Devant cette situation, l'exploitant appelle les sapeurs-pompiers, fait évacuer les 70
04:59 personnes de son site et arrête sa production.
05:01 Deux rideaux d'eau sont positionnés pour dissoudre le nuage.
05:04 La cuve est refroidie à l'aide d'une lance.
05:07 Un périmètre de sécurité est établi.
05:09 Les riverains et les commerces, se trouvant à proximité, sont invités à se confiner
05:13 pendant 5 heures.
05:15 Les relevés de qualité de l'air effectués sur le site confirment l'absence de risque
05:20 pour les équipes, les riverains et les produits.
05:23 Une fois la situation stabilisée vers 19h, l'activité est autorisée à reprendre
05:27 progressivement le soir même.
05:29 Grâce au refroidissement de la cuve, il n'est plus observé de dégagement de chaleur ni
05:33 de fumée.
05:34 Cependant, nul ne sait si le mélange est encore réactif ou non.
05:38 L'absence de ce scénario dans l'étude de danger est un point défavorable dans la
05:42 gestion de crise, car elle ne permet pas de connaître la réaction en cours.
05:46 Par précaution, l'exploitant en relation avec les sapeurs-pompiers maintient le refroidissement
05:51 de la cuve et surveille l'ensemble durant deux jours avant l'intervention d'une
05:56 expertise spécialisée dans le traitement des produits chimiques.
05:58 Elle confirme la réactivité du mélange, ce qui empêche son dépottage direct.
06:03 Un nouveau mode opératoire est étudié et proposé aux autorités.
06:07 Ce procédé consiste à stabiliser le mélange avec de l'acide chromique, puis pomper
06:12 et mettre en flux des déchets, et enfin démanteler la cuve.
06:15 Les autorités font appel à la cellule d'appui en situation d'urgence de l'INERIS pour
06:19 valider ce protocole.
06:20 Cinq jours après l'événement, l'acide chromique est injecté.
06:24 Grâce au brassage des produits, la stabilisation est efficace en trois heures.
06:28 2300 litres d'effluents, la cuve de stockage et l'acide sont alors évacués en déchets
06:33 spéciaux.
06:34 Cet événement met en lumière la difficulté de la continuité d'activité et du partage
06:42 des compétences.
06:43 La commande de produits est gérée habituellement par le seul magasinier.
06:46 Il est également l'unique opérateur pour le transfert d'acide.
06:49 Ces deux activités, indispensables à la production, ne reposent que sur une seule et même personne,
06:54 ce qui en fait une ressource rare et critique.
06:56 Le procédé de production en continu nécessite un approvisionnement mensuel en acides.
07:02 Dans le cas présent, la commande a été réalisée par une personne ne maîtrisant
07:06 ni le logiciel de commande, ni le procédé.
07:09 Il s'agit d'un premier terrain propice à la prise de décision erronée.
07:12 En interrogeant le fournisseur sur la possible livraison d'acides, sans précision particulière
07:18 sur sa nature, un biais de confirmation s'instaure entre les deux acteurs, donnant du crédit
07:23 à l'intention de bien faire.
07:24 Afin de se prémunir de ces risques, il est nécessaire d'analyser les processus et
07:31 ressources critiques de chaque activité.
07:32 L'absence du magasinier, durant une période supérieure à la consommation d'acides,
07:38 ne s'était jamais produite.
07:39 Le contexte du Covid a engendré une situation certes inhabituelle, mais non extraordinaire.
07:45 Elle a permis de révéler cette vulnérabilité.
07:49 A la suite de cet accident, l'exploitant a notamment garanti la relève du magasinier
07:54 en l'identifiant les tâches, responsabilités et formations spécifiques au poste.
07:59 Nous venons de voir l'importance de la disponibilité des acteurs qui savent réaliser les actions
08:05 ou les gestes justes.
08:06 Prenons le transfert d'acide.
08:08 L'apprenti qui le réalise ne dispose pas de l'ensemble des compétences nécessaires.
08:12 Dans le souci de mener à bien l'opération, il demande du soutien à un technicien de
08:16 maintenance présent.
08:17 Celui-ci accepte sans pour autant avoir déjà réalisé l'opération auparavant.
08:21 Son ancienneté dans l'entreprise rassure l'apprenti.
08:25 Mais leur inexpérience commune les amène à ne pas prendre en compte des signaux d'alerte
08:29 tels que le dégagement de fumée.
08:30 Un nouveau biais cognitif est mis en lumière ici, l'effet Dunning-Kruger.
08:35 Il se caractérise par une distorsion de la réalité selon laquelle les personnes qui
08:39 en sont atteintes pensent être compétentes sur un sujet alors qu'elles n'en ont aucune
08:43 qualification.
08:44 L'absence de liste de personnel formé et habilité ainsi que de procédures spécifiques
08:49 pour le transfert d'acide a pu renforcer ce sentiment de légitimité chez les opérateurs.
08:54 A la suite de cet accident, l'exploitant a renforcé la formation au transfert d'acide
08:59 puis listé les personnes autorisées à accéder au local.
09:01 L'ergonomie joue un rôle clé dans la prise de décision.
09:05 Là encore, deux situations particulières ont été propices à des actions inappropriées.
09:10 Tout d'abord, le logiciel de gestion des achats n'est pas explicite.
09:14 Son ergonomie n'a pas permis aux techniciens de retrouver les références de l'acide.
09:18 La difficulté a été accentuée par le fait qu'il n'a pas suivi de formation à l'utilisation
09:21 de ce logiciel, ni qu'il connaît le procédé.
09:24 Le deuxième point est le poste de dépottage qui n'avait pas d'affichage qui permettait
09:28 d'identifier l'acide stocké, et donc l'acide à commander et à dépotter.
09:32 Un poste de travail adapté doit permettre à son utilisateur de limiter les écarts
09:37 entre la pratique attendue et le travail réel.
09:40 En conséquence, l'ergonomie des situations de travail doit être réfléchie pour garantir
09:46 la fiabilité des lignes de défense mises en place dans le cadre de la maîtrise des
09:50 risques.
09:51 L'appropriation du poste de travail doit intégrer la formation de l'ensemble des
09:57 utilisateurs, qu'ils soient titulaires ou suppléants.
10:00 Cet accident a permis une prise de conscience à tous les niveaux de l'entreprise.
10:05 L'exploitant a réaménagé toute la zone de la station de nettoyage.
10:07 L'exploitant a supprimé la cuve de stockage d'acide nitrique pour privilégier le transfert
10:13 direct dans le procédé, depuis un GRV.
10:16 Il a ensuite identifié clairement et explicitement l'ensemble des contenants.
10:20 L'événement a mis en lumière certaines tâches qui reposaient uniquement sur la seule
10:25 compétence des intervenants.
10:26 Ce déséquilibre entre la sécurité réglée, synonyme de procédure, et la sécurité gérée,
10:31 synonyme de compétence, a exposé ce site industriel à des dérives tant sur la commande
10:36 d'acide que sur son transfert.
10:37 Sans procédure et sans consigne claire, la situation n'a pas pu être rattrapée.
10:42 Quelle que soit la qualité de l'analyse des risques et des mesures qui en découlent,
10:47 il existera toujours dans la vie d'une installation industrielle des écarts entre ce qui a été
10:51 prévu et ce qui se produit.
10:52 Les règles et procédures doivent être écrites dans le but d'anticiper au maximum les dérives.
10:58 Si malgré tout, des interrogations subsistent dans la réalisation de tâches, les minutes
11:03 d'arrêt permettant de réfléchir avant d'agir ou la vérification par des points
11:07 de contrôle de la bonne réalisation des actions doivent être développées.
11:11 L'équilibre entre la formation, le maintien des compétences, la qualité des procédures
11:16 doit être périodiquement réinterrogé afin de maîtriser les risques.
11:20 La gestion de crise par l'exploitant a permis d'éviter des victimes et de limiter l'impact
11:24 sur la production.
11:25 La réaction immédiate, tant des opérateurs que des sapeurs-pompiers, a assuré la maîtrise
11:30 de la dispersion du nuage.
11:31 La relation entre l'ensemble des acteurs, institutionnels comme exploitants, est un
11:35 autre élément favorable.
11:36 En effet, cet événement non prévu dans l'étude de danger a demandé une adaptation importante
11:41 de la cellule de crise du site.
11:43 La synergie et la communication efficace entre tous les acteurs a permis de mettre en œuvre
11:47 les actions les plus appropriées.
11:49 La période de confinement et la fréquentation moindre des établissements recevant du public
11:53 à proximité du site aura finalement constitué une situation favorable à la gestion des
11:58 populations.
11:59 Nous voyons ici que les facteurs humains et d'organisation jouent un rôle essentiel
12:08 dans la prévention des risques industriels, quel que soit le régime de l'installation.
12:11 L'analyse des causes de cet accident en est encore la preuve.
12:13 En parallèle des actions de réduction du risque à la source, les mesures de prévention
12:18 et protection à mettre en place concernent autant les aspects d'organisation que de
12:22 technique.
12:23 Nous devons être conscients que l'environnement autour des sites, mais aussi les hommes, le
12:27 matériel à l'intérieur des sites, sont amenés à évoluer dans le temps.
12:31 Aussi, l'organisation doit suivre ces évolutions pour garantir à chaque moment le même niveau
12:36 de sécurité.
12:37 L'analyse de cet événement nous conduit à rappeler les principes suivants.
12:41 L'ergonomie matérielle, comme logiciel, doit être revue en cas d'évolution des
12:45 procédés.
12:46 Tous ces changements doivent être identifiés, analysés et accompagnés des formations nécessaires
12:52 à leur bonne appropriation et utilisation.
12:54 Les procédures doivent être claires, utiles et venir en complément des compétences développées
13:00 et entretenues par le personnel.
13:02 Tout ceci afin d'assurer la continuité d'activité pour une exploitation en toute
13:06 sécurité, quelles que soient les circonstances.
13:08 Dernier point, attardons-nous sur les substances concernées par cet événement.
13:13 Il s'agit de deux acides dont le mélange conduit à une réaction non désirée.
13:17 Concernant les mélanges incompatibles, notre attention est régulièrement portée sur
13:22 les mélanges acides-bases.
13:23 Ici, l'accidentologie vient nous démontrer que la probabilité d'un mélange acide-acide
13:29 n'est pas à sous-estimer.
13:30 L'acide nitrique et l'acide sulfurique sont deux acides très fréquemment utilisés
13:35 dans tous les secteurs industriels.
13:37 Gageons que leur force du partage d'expérience permettra d'éviter la survenue d'événements
13:42 similaires.
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